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de ses chambres, ni la nôtre vis-à-vis de lui par une certitude prématurément donnée, et qui n’est pas pour moi encore complète. Vous vous êtes placé avec nous, depuis deux mois, sur un terrain de loyauté parfaite ; je vous devais en échange la sincérité avec laquelle je viens de vous parler »

« Tout cela, ajoutait M. de Bourqueney, était dit sur un ton amical auquel j’ai cru devoir répondre par une confiance également empressée. Eh bien ! ai-je dit, milord, je croyais rentrer chez moi pour demander au gouvernement du roi de vouloir bien me munir des pouvoirs nécessaires à la signature de la convention ; je vais écrire, au contraire, que le moment n’est pas venu, d’y procéder. Mes instructions ont toujours été formelles sur ce point : clôture, clôture définitive du passé. Le passé n’est pas clos dès qu’il reste l’ombre d’une possibilité qu’il ne le soit pas pour vous. »

La soirée ne s’était pas écoulée que le résultat de cet entretien était connu de tout le monde diplomatique et devenait le sujet de toutes les conversations. Les plénipotentiaires allemands ne reconnaissaient là ni l’expression de leur pensée, ni l’accomplissement du mandat que la conférence avait donné au secrétaire d’état britannique. « Ils fulminent, écrivait M. de Bourqueney, contre lord Palmerston, qui veut, disent-ils, tenir la question ouverte à Londres pour qu’elle ne soit pas fermée à Constantinople et à Alexandrie. Ils ajoutent qu’il dispose par trop légèrement de leurs cabinets, que jamais ils ne se prêteront à un acte quelconque à quatre le jour où nous aurons conclu à cinq, et qu’à supposer que lord Palmerston voulût les y inviter, sa démarche échouerait complètement[1]. » A Berlin, à Vienne, la mauvaise humeur fut grande contre lord Palmerston ; mais l’ascendant qu’il exerçait sur ceux-là même auxquels ses boutades étaient le plus à charge restait tel, qu’ils n’osèrent encore secouer le joug et passer outre. « Les Allemands parlent bien, mais agissent peu, » écrivait de Londres M. de Bourqueney. A Vienne, en effet, après avoir parlé en termes assez vifs contre l’esprit chicaneur et tracassier de lord Palmerston, M. de Metternich ajoutait, comme pour recommander la patience à la France : « Ne nous cassons pas inutilement la tête, ni vous ni moi ; avant peu de jours, nous recevrons la réponse d’Alexandrie, et cette réponse nous apprendra la fin finale de l’affaire d’Orient[2]. » En Prusse, même mélange de colère et de timidité. M. de Werther avait commencé par partager l’irritation générale contre lord Palmerston. « Que voulez-vous que nous fassions, disait-il à M. Humann[3], vis-à-vis d’un homme intraitable, qui n’écoute aucun raisonnement, qui ne cède qu’à son humeur, et ne prend conseil que de ses préventions ? Dans ma conviction, la soumission du pacha ne ramènera pas lord Palmerston ; je ne sais quel prétexte d’ajournement

  1. Lettre particulière de M. de Bourqueney à M. Guizot, 25 mai 1841.
  2. Dépêche de M. de Sainte-Aulaire à M. Guizot, 26 juin 1841, n° 17.
  3. Dépêche de M. Humann à M. Guizot, 3 juillet 1841, n° 11.