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terminé, et qu’il ne voyait pas qu’il y eût rien à faire. Puis, avec une sorte d’embarras, il a ajouté ou plutôt donné à entendre que la Russie n’avait pas fait tant de concessions à l’Angleterre pour que l’Angleterre fit des concessions à la France. Lord Clanricarde aurait répondu, à ce qu’il m’a dit, qu’il ne s’agissait pas de concessions à la France, que le traité du 15 juillet avait eu son effet et qu’il n’y avait plus à y revenir, mais qu’il restait d’autres affaires où la France avait un intérêt manifeste, et qui ne pouvaient être traitées sans elle. A cela il n’y avait nulle réponse à faire, à moins de dire que l’empereur avait eu pour intention principale de brouiller la France avec l’Angleterre et de l’isoler, et qu’ainsi il y aurait un grand mécompte si la situation respective des grandes puissances et leurs mutuelles relations se rétablissaient comme auparavant. Or, c’est ce que le cabinet impérial ne pouvait avouer. »


S’il persistait plus long-temps à rester dans l’isolement, le cabinet du 29 octobre ne risquait-il pas de blesser et peut-être de remettre une seconde fois contre lui ceux qui s’employaient alors si activement en sa faveur ? N’allait-il pas procurer ainsi à ses vrais adversaires un nouveau triomphe ? M. Guizot le sentit ; il adressa en même temps à M. Bourqueney une dépêche officielle et une lettre confidentielle. Dans la dépêche, après avoir pris acte de la proposition, comme émanée des puissances étrangères, il disait :


« Paris, 13 février 1841.

« … Le gouvernement du roi a accepté sans hésiter et avec toutes ses conséquences l’attitude de l’isolement, parce que, dans l’état des faits, elle lui a paru la plus convenable pour la dignité comme pour la sûreté de son pays : il y persistera sans inquiétude pour son propre compte, sans agression ni menace pour personne, aussi long-temps que les circonstances lui paraîtront l’exiger ; mais il ne fait point de l’isolement une base permanente de sa politique… Il n’a nul désir de prolonger sans nécessité les charges qu’entraîne une telle situation. Pour qu’elle puisse cesser, il faut, avant tout, que l’affaire turco-égyptienne soit terminée ; tant qu’elle ne l’est pas, le traité du 15 juillet subsiste, et nous ne pouvons sortir de l’isolement dans lequel ce traité nous a placés que lorsqu’il aura cessé d’unir entre elles les puissances et n’appartiendra plus qu’au passé. »

Poursuivant le même ordre d’idées, il ajoutait :

« Pour que, même le traité du 15 juillet terminé, un rapprochement fût possible entre les puissances, il fallait que l’on ne proposât à la France ni de garantir l’état présent de l’empire ottoman, résultat des mesures qu’elle avait désapprouvées, ni de faire cesser le pied de guerre où elle s’était placée. »

« Nous ne sommes point pressés de conclure (répétait de nouveau le ministre dans sa lettre particulière à M. de Bourqueney ) ; mais si la conclusion vient à nous, je pense, comme vous, qu’il serait puéril et qu’il pourrait être nuisible de la faire attendre[1]. »

La conclusion se fit cependant attendre encore long-temps, toujours

  1. Lettre particulière de M. Guizot à M. de Bourqueney, 13 février 1841.