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l’explosion de leur colère, par leurs menaces de promptes représailles, ils crurent agir sur les déterminations des ministres anglais et sur l’esprit des populations d’outre-Manche, leur calcul fut cruellement trompé. Un publiciste distingué, qui a raconté avant moi et mieux que moi dans cette Revue[1] les phases diverses de l’alliance anglo-française, a remarqué avec raison que les journaux anglais, demeurés froids et plutôt mécontens à l’annonce du traité du 15 juillet, battirent des mains seulement après la prise de Beyrouth, témoignant ainsi par leurs bruyans, mais tardifs applaudissemens, qu’ils n’avaient pas eu d’abord grande confiance dans la bonté de leur cause et dans la facilité de leur succès. Il est vrai, l’honneur de son pavillon une fois engagé, le peuple anglais (Dieu nous donne pareil défaut !) oublie vite les querelles intérieures des partis, et ne songe plus qu’à la honte des revers, à la gloire du triomphe ; oui, son orgueil national mis en jeu, il devient assez indifférent aux questions de droit, de justice ; la légitimité des moyens employés lui importe peu. Le public de Londres ne songeait-il pas aussi un peu alors à certains chants de victoire anticipée dont le bruit avait passé le détroit ? Les exploits peu héroïques des vaisseaux anglais brûlant les baraques de Beyrouth n’étaient-ils pas surtout exaltés comme autant de réponses victorieuses à de trop héroïques articles de quelques feuilles parisiennes ?

Pourquoi le taire ? dans cette malencontreuse question d’Orient, nous marchâmes de mécompte en mécompte. Chaque jour se chargea de nous ôter quelques-unes de nos illusions. Nous avions cru que le traité ne pourrait jamais avoir lieu sans nous, et les signatures en avaient été échangées à notre insu. Une fois signé, nous avions pensé qu’il resterait long-temps une lettre morte, et nous apprenions que les vaisseaux anglais, rapides exécuteurs des volontés de la conférence de Londres, préludaient, par le bombardement des côtes de la Syrie, à la mise en vigueur des clauses rigoureuses imposées à notre protégé. Nous nous étions flattés un peu à la légère que l’opinion publique se soulèverait en Angleterre contre l’œuvre personnelle du ministre whig : en Angleterre, comme partout, comme toujours, les indécis se prononçaient avec la fortune et pour ceux que la fortune favorisait. Enfin, nous avions compté sur la résistance énergique d’Ibrahim : au premier choc, ses troupes cédaient presque sans coup férir ; Méhémet-Ali lui-même semblait avoir perdu son antique vigueur d’aine. Le terrain que le gouvernement avait choisi, et qu’il croyait solide, manquait, pour ainsi dire, sous ses pieds, et s’effondrait à chaque secousse nouvelle. Toute compromise que fût alors notre position, elle n’était pas telle

  1. De l’alliance anglo-française, par M. Duvergier de Hauranne, livraison du 15 février 1841.