Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’esprit de conquête, tandis qu’en réalité, et sous une forme un peu plus amicale, nous lui adressions des remontrances qu’elles n’auraient pas elles-mêmes désavouées. Bref, il fut convenu que les seuls dangers qui menaçaient le sultan venaient de son coreligionnaire, le maître de l’Égypte, le possesseur de la Syrie entière, de Candie et des villes saintes. Il ne fut plus question que d’avoir raison du pacha rebelle avec ou sans l’agrément de la France.

Peu de temps avant que la rupture éclatât, une voix se fit entendre pour avertir les amis de l’alliance anglo-française de la rude épreuve à laquelle elle était alors soumise. Le moment était bien choisi, car le péril était imminent. M. de Brunow était arrivé à Londres, porteur d’instructions dont la teneur n’était un mystère pour personne. On savait que l’empereur lui avait à peu près donné carte blanche sur les concessions à faire à l’Angleterre, pourvu que des arrangemens consentis il pût sortir une brouille entre la France et l’Angleterre. Comment ceux qui attachaient quelque prix à l’entente des deux grands pays constitutionnels de l’Europe n’auraient-ils pas fait un dernier effort ? Les débats de l’adresse de 1840 fournirent à M. Thiers l’occasion de se prononcer encore une fois pour cette alliance. Autant que qui que ce soit, M. Thiers savait combien les changemens de front étaient fréquens et soudains dans la politique extérieure de lord Palmerston. Ministre du cabinet du 11 octobre, il ne pouvait avoir oublié qu’en 1835, MM. Martinez de la Rosa et Toreno ayant demandé à la France et à l’Angleterre d’intervenir en Espagne, le cabinet whig s’y était péremptoirement refusé, aussi bien qu’à un projet de médiation armée entre les parties belligérantes ; ministre des affaires étrangères de l’administration du 22 février, il se souvenait d’avoir reçu en 1836, du même cabinet anglais tout à coup ravisé, une offre d’intervention que nous avions à notre tour repoussée comme intempestive. Ce n’était donc point un engouement irréfléchi de l’alliance anglaise, mais un juste souci des dangers de la mésintelligence, qui portait le futur président du cabinet du 1er mars à s’alarmer des résolutions qui allaient être prises à Londres. Une vague prévision lui disait peut-être que si, arrivé au pouvoir, il trouvait plus tard la France déjà engagée dans une autre voie, il ne lui conseillerait plus de s’en retirer.

Quoi qu’il en soit, les efforts de l’orateur de l’opposition, non plus que les démarches du ministre qui dirigea peu de temps après la politique extérieure de la France, ne réussirent à amener une conciliation dont sans doute le moment était passé. Ceux qui ont accusé M. Thiers d’avoir changé de doctrines en changeant de position, et d’avoir pratiqué, dans les conseils de la couronne, une conduite différente de celle qu’il avait conseillée sur les bancs de la chambre, se sont singulièrement trompés. Le temps marchait, dont personne n’est le