Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire accepter, sinon en rapprochant après coup les effets et les causes, en mettant en regard et en pleine lumière les erreurs commises et les revers éprouvés ? La mémoire des anciens entraînemens peut seule prévenir les déceptions nouvelles. Ne nous lassons jamais d’appeler le passé au secours de l’avenir.

Ce que j’ai précédemment raconté de la malveillance avouée de l’empereur Nicolas et de la jalousie secrète de lord Palmerston a déjà fait pressentir quel danger menaçait la France le jour où une occasion serait offerte à ses deux ennemis d’unir contre elle leurs communs ressentimens. Les événemens qui s’annonçaient dans le Levant n’allaient-ils pas fournir ce prétexte si désiré ? Tous les personnages politiques qui avaient dirigé nos relations extérieures s’en préoccupaient vivement. Ils remarquaient avec inquiétude à quel point les imaginations s’échauffaient à l’idée d’un prochain démembrement de l’empire ottoman. Ils découvraient, non sans étonnement, combien de fantaisies singulières germaient déjà dans les têtes des hommes les plus sages de leur parti. C’était le temps où, sur la foi des systèmes préconçus, les intelligences d’ordinaire les plus rassises n’hésitaient pas à se jeter dans le champ illimité des conjectures. Pour les politiques comme pour les poètes, l’Orient était de nouveau devenu le pays des chimères. Quelles impérieuses exigences un mouvement si désordonné de l’opinion publique ne faisait-il pas présager ! Malheureusement, lorsque ces exigences vinrent à se produire avec un certain éclat dans la presse et à la tribune, les ministres des affaires étrangères des cabinets du 11 octobre, du 22 février et du 15 avril ne siégeaient plus dans les conseils de la couronne. Par un dénoûment inattendu, les luttes de la coalition avaient eu pour résultat d’écarter à la fois du pouvoir tous ceux qui, depuis 1830, avaient manié les grandes affaires.

Le cours des événemens se chargea bientôt de montrer ce que perd un pays quand il est privé des services des hommes d’expérience et de pratique. Les ministres nouveaux, moins versés que leurs prédécesseurs dans les secrets détails des dernières transactions diplomatiques, moins au fait des dispositions cachées des cours étrangères, furent les premiers à partager une confiance que, mieux instruits, ils n’auraient pas hésité à combattre. Comme le public, ils crurent trop aux chances favorables ; comme lui, ils mirent leur espoir dans un accord plus facile à imaginer qu’à établir entre les cabinets de Paris, de Londres, de Vienne et de Berlin, et dont la Russie devait seule être exclue. Pareil accord était peu probable. L’appui que nous en pouvions tirer, dans la question d’Orient, n’était solide qu’en apparence ; il était vain au fond ; les moindres incidens pouvaient le rompre. En effet, nous poursuivions dans le Levant un but assez compliqué. Les intérêts que nous voulions faire prévaloir étaient de deux sortes : le premier, commun