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se retirer, nous lui pardonnons volontiers d’avoir été séduit par une telle pensée. Il restera toujours acquis de la sorte que c’était un moyen de se populariser dans la république de 1848 que d’aller au secours du pape, et le général Cavaignac aura prouvé qu’il le sentait. Pourquoi le ministère s’est-il aujourd’hui si mal tiré de ses explications ? Les ordres du jour motivés n’améliorent pas les mauvaises retraites.

Tel est le tableau fidèle de la situation électorale. La question, comme on le voit, est toujours pendante. Nul ne doute que M. Louis Bonaparte n’ait la majorité, le tout est qu’elle soit absolue. M. Louis Bonaparte, devenu candidat conservateur, compte parmi ses auxiliaires des hommes éminens dont nous respectons profondément les conseils, M. Thiers, M. Molé. Le général Cavaignac, en s’inspirant des mêmes principes, aura les suffrages de beaucoup de nos anciens amis, M. de Rémusat, M. Cousin, M. Duvergier de Hauranne. Cette division des voix qui nous ont guidés jusqu’ici d’accord dans notre période républicaine n’est pas propre à terminer la perplexité publique. On reproche d’ailleurs avec raison au général Cavaignac les liens qui l’attachent à certain entourage, les défauts d’un personnel administratif qui n’a point encore été assez épuré. Nous partageons, quant à nous, tous ces griefs ; nous avons dit et répété qu’on n’était pas digne de gouverner un grand pays, dès qu’on voulait le livrer à une minorité. Nous ajoutons que ces griefs, chaque jour plus ressentis, accroissent beaucoup l’indécision générale. Dans cet état de choses, avec cet équilibre des candidats, il ne faut qu’un jour, qu’une heure pour élever l’un et rabaisser l’autre. Sait-on ce que produirait un discours de M. Louis Bonaparte, venant au milieu d’une tempête parlementaire expliquer son manifeste et dire son quos ego ! La bonne conscience a délié la langue du général Cavaignac ; pourquoi la fierté de son sang et la mémoire de son nom ne serviraient-elles pas aussi bien M. Louis Bonaparte ?

Il est temps d’ailleurs que nous soyons délivrés de ces anxiétés intestines. L’horizon ne veut point s’éclaircir. À peine a-t-on l’espérance de quelque résultat pacifique dans un coin du monde, la guerre aussitôt menace ou éclate dans l’autre. Les choses traînent si fort en longueur à Berlin, qu’il est très difficile de croire qu’elles aboutissent à une explosion violente. À Vienne, cette répression, qui n’a point été ici assez active, se fait impitoyable, et la force militaire, qui a sauvé la monarchie, prend sur elle la responsabilité d’exécutions dont le terme n’arrive pas. Il est temps que le nouveau ministère sache établir son existence constitutionnelle en face du commandement des généraux : le prince Schwarzenberg et le comte Stadion ne sont point des hommes dont on puisse faire les instrumens d’une camarilla ; il leur appartient de retirer l’Autriche des mains de ces soldats à moitié barbares qui l’ont sauvée, comme des mains des démagogues qui la perdaient. M. Smolka, l’ancien président de la diète de Vienne réélu dans celle de Kremsier, disait avec raison que « tout le malheur venait des ultra-démocrates et des ultra-diplomates. » Il n’y a de gouvernement durable et régulier ni avec les uns ni avec les autres.

C’est un coup de maître de ces ultra-diplomates, provoqué, disons-le, par les excès des ultra-démocrates, d’avoir amené l’empereur Nicolas à s’immiscer d’une façon si éclatante dans l’appréciation des affaires d’Occident par les grands honneurs qu’il confère aux vainqueurs de la démagogie ; pourquoi faut-il que