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son athéisme, mais son incompétence. Politiquement donc, au lieu de tuer le christianisme, la liberté l’affranchit des liens terrestres et le ramène à la pureté de son origine et de sa fin.

L’incompatibilité prétendue entre la liberté et la foi est, au point de vue scientifique et philosophique, une erreur tout aussi triviale et non moins absurde. Le progrès de la civilisation moderne attesté par M. Proudhon témoigne irréfutablement contre elle. Il serait puéril aujourd’hui de montrer qu’entre les sciences physiques, les sciences d’induction et la foi, il n’y a pas seulement matière à hostilité. M. Proudhon en est si bien persuadé lui-même, que, voyant toutes les grandes découvertes scientifiques de notre temps aboutir, toujours de merveille en merveille, à de nouveaux mystères, il s’écriait, dans la préface des Contradictions économiques, que « l’univers est un laboratoire d’alchimie. » La science de ce siècle ne conclut plus au matérialisme ; la religion, de son côté, a aussi bien distingué son domaine de la sphère scientifique que des frontières de la politique. Dans leur première infatuation, il est vrai, les savans crurent que la foi et la poésie allaient s’évanouir devant leurs découvertes : les savans irréligieux annonçaient la fin du christianisme, les savans religieux traitaient la poésie, avec le grand Newton, de « vain non-sens ; » mais la conscience du genre humain répond toujours aux uns et aux autres, comme Shakspeare : « Il y a plus de choses au ciel et sur la terre que vous n’en rêvez dans votre science. »

There are more things in Heaven and Earth, Horatio,
Than are dreamt of in your philosophy.

L’antagonisme de la philosophie est plus réel, je l’avoue ; mais reste à savoir s’il est redoutable. Dans cette confusion qui trouble la Babel philosophique, sur cette spirale toujours croulante et qu’elle reconstruit sans cesse avec les ruines de ses propres systèmes, je ne comprends pas l’aveugle impertinence avec laquelle chaque idéologue nouveau vient annoncer, en s’affaissant sur lui-même, la fin des religions. La philosophie moderne a accompli, depuis le XVIe siècle, deux évolutions gigantesques : la première par l’initiative de Descartes, la seconde sous l’impulsion de Kant ; et deux fois, après d’admirables tours de force de logique et d’imagination, elle est revenue à son point de départ. « La philosophie, à sa dernière heure, écrivait M. Proudhon lui-même au début de ses Contradictions économiques, ne sait rien de plus qu’à sa naissance ; comme si elle n’eût paru dans le monde que pour vérifier le mot de Socrate, elle nous dit, en se couvrant solennellement de son drap mortuaire : Je sais que je ne sais rien. » Or, rappelons-nous la prétention de la philosophie contre la religion : elle se vantait de pouvoir éclairer et diriger l’homme sur les problèmes de