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au-dessous du dédain d’un honnête homme, s’ils n’aboutissaient à l’impiété que le socialisme offre comme une amorce aux passions populaires. La liberté a tué le christianisme ; on a besoin de persuader ce mensonge au peuple, parce que le christianisme, plaçant au-dessus de cette vie la fin de l’homme, est l’antagoniste radical, invincible, éternel du socialisme. Mais, toutes les fois que M. Proudhon oppose les conquêtes de la liberté à la religion, il commet historiquement et philosophiquement deux méprises grossières. La religion, dans les sociétés humaines, s’est toujours trouvée mêlée plus ou moins aux institutions politiques, et il ne pouvait en être autrement, puisque la politique et la religion se partagent le même empire, qui est l’homme. Il est donc arrivé, dans la suite des siècles, que telles ou telles institutions purement politiques, passagèrement associées à la religion, en ont été détachées et ont disparu. Le plus grand progrès accompli à travers tant de maux depuis la réforme est précisément la séparation qui s’est opérée, dans l’organisation des sociétés modernes, entre le double domaine de la religion et de la politique. Ce partage, il faut le dire, s’est fait au nom et en vertu de la liberté, mais, tous les événemens de ces trois siècles le proclament, dans l’intérêt de la liberté religieuse aussi bien que dans l’intérêt de la liberté politique. La religion s’était placée sous le protectorat despotique de César, ou s’était emparée elle-même des attributions temporelles de l’empire : aujourd’hui elle s’est progressivement dégagée d’une situation antipathique à sa vraie nature, où elle échangeait quelques-uns des plus tristes privilèges de la tyrannie matérielle contre des chaînes spirituelles qui étouffaient sa puissance propre ; aujourd’hui, les croyances religieuses et les opinions philosophiques ne subissent plus le joug du pouvoir temporel, et les opinions politiques ne relèvent plus du dogme religieux. La foi, revenue à la liberté immatérielle qui est son essence, ne s’adresse plus qu’à l’intimité des consciences, et n’invoque pour ses lois que la sanction morale qu’elle possède dans l’adhésion spontanée du croyant. Elle n’exerce sur les ames aucune contrainte violente ; elle n’emprunte au pouvoir politique aucune de ses pénalités : la religion et l’état se partagent l’homme par une limite fatale, le tombeau ; et la foi n’atteint plus, par les récompenses ou les expiations, que l’homme renaissant à l’immortalité de l’autre côté du sépulcre. Dieu, enfin, a remis une seconde fois au fourreau le glaive de saint Pierre. Ceci explique pourquoi M. Proudhon peut nier la présence réelle sans craindre, Dieu merci ! le bûcher ; mais en quoi cela prouvera-t-il qu’il y ait incompatibilité historique entre la foi et la liberté, et que celle-là doive s’anéantir dans les sociétés où celle-ci prévaut ? La société s’est sécularisée, elle s’est faite exclusivement laïque, elle a proclamé dans ses institutions politiques, non certes, comme le disait autrefois M. de Lamennais,