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la synthèse de l’échange, régnera le bien-être, sous le pontificat des teneurs de livres ; mais la sainteté, l’héroïsme et le génie sont exclus de ce paradis comme oisifs, parasites ou monopoleurs. — Dans ce cas, répliquez-vous galamment avec tous les gens de cœur et d’esprit, nous nous tiendrons à la porte. — Oui, et vous nous donnerez des nouvelles du christianisme et de la propriété !

On a peur, au premier abord, de se prêter à une mystification en prenant au sérieux, non pas le talent, mais le système de M. Proudhon. Il y a chez lui des qualités d’esprit et des résultats d’étude si remarquables qu’on hésite à le croire dupe de la farce grossière qu’il joue. Il y a quatre hommes dans M. Proudhon : un écrivain, un logicien, un économiste et un révolutionnaire. Cet écrivain d’un si bon flair grammatical peut-il parfois se tromper à ce point sur le sens des mots ? Ce logicien si rompu aux ruses de la dialectique peut-il faire, sans s’en douter, de pareilles confusions d’idées ? Cet économiste si sagace dans l’analyse des systèmes et des lois de la science de la richesse peut-il commettre, sans s’en apercevoir, les balourdises d’un ignorant fieffé ? Ou bien ne faut-il voir dans les monstruosités qu’il débite que l’effronté calcul d’un spéculateur de famosité qui coupe la queue de son chien et mutile les statues des dieux avant d’être Alcibiade ? On se poserait ces questions, si M. Proudhon n’était pas révolutionnaire ; mais c’est la passion révolutionnaire qui l’emporte, c’est la passion révolutionnaire, c’est la fureur froide dont elle l’anime qui aveugle en lui l’économiste, le philosophe et l’écrivain. La science et le talent ne sont pour M. Proudhon que des moyens d’irriter les passions populaires, des trompettes de guerre et de destruction. M. Proudhon se prend donc aux embûches qu’il tend à l’ignorance des masses, et les qualités de son intelligence ne font que rendre ses bévues plus ridicules et plus honteuses.

Le premier succès de M. Proudhon fut de désorienter son monde par l’abus d’un système logique qu’on n’avait point vu encore appliquer chez nous aux discussions philosophiques et morales. L’étrangeté de cette dialectique, bien plus que sa rigueur apparente, le flegme cynique, la morgue pédante et narquoise avec laquelle M. Proudhon maniait cette machine inconnue, déroutèrent un moment ses premiers adversaires. Un écrivain très compétent et très spirituel nous a appris, dans ce recueil même, à quelle école étrangère M. Proudhon emprunta sa méthode. Le socialiste gaulois tenait cette discipline de Hegel et de ses héritiers les plus exagérés, il a eu tout simplement le mérite d’introduire chez nous, pour les idées, l’exercice à la prussienne. Ce n’est point de quoi je le blâme. Je blâme l’usage absurde qu’il a fait de cette méthode, l’employant à détourner le sens des mots et la génération naturelle des idées, et l’appliquant illégitimement à des matières qui échappent à la pesanteur de ses évolutions. Au reste,