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à l’égard du dogme plus d’autorité que n’en peuvent avoir de simples convictions personnelles fondées sur des séries convergentes de preuves, mais dont néanmoins la valeur ne cesse pas de demeurer incertaines jusqu’à ce qu’elles aient été vérifiées suffisamment. » Ailleurs encore il déclare que « nul aujourd’hui ne peut que soumettre au jugement de la raison commune, ce qui lui semble vrai ; car nous vivons en l’un de ces temps où, les vieux systèmes tombant partout en ruine, aucune doctrine ne les a remplacés encore, n’est encore admise par les esprits qu’inquiète et tourmente le vide qu’en s’en allant ont laissé en eux les croyances sur lesquelles reposaient et la paix des ames satisfaites dans un de leurs plus impérieux besoins, et l’ordre entier moral et social. » Eh bien ! le même homme, qui connaît le vide funeste que laissent les croyances, repos des ames, sanction de la morale, base des sociétés ; celui-là même qu’on vient de voir si peu assuré de la vérité des idées qu’il propose pour remplir la place des croyances, ose encore, vers la fin de son livre, porter aux religions ce défi emporté : « En s’opposant au libre usage de la raison, en soumettant les peuples à une puissance au-dessus de tout contrôle, en les réduisant à l’aveugle obéissance des brutes, les révélations ont produit des maux effroyables. Maître et en quelque sorte propriétaire de l’humanité, le prêtre serait devenu sur la terre le Dieu qu’il représentait, s’il n’avait rencontré dans l’humanité même et ses lois éternelles un obstacle heureusement invincible. Cet obstacle grandissant toujours, à mesure que croissaient les lumières, on s’est toujours aussi rapproché de l’ordre véritable, et l’on y entrera tout-à-fait quand la religion mieux conçue cessera, comme le sacerdoce, d’être aux yeux des hommes une institution surnaturelle originairement, et quand elle ne sera pour eux que ce qu’elle est en réalité, la plus haute expression de leur nature même et la suprême législation. » Et celui qui proclame ainsi d’une voix si haineuse et si téméraire la fin des religions est le philosophe dont nous entendions tout à l’heure le balbutiement confus, contradictoire, inintelligible ! Celui qui a écrit ces lignes s’appelle Lamennais ! et lui-même il a écrit autrefois cette phrase : « Oui, quiconque ayant cru cesse de croire cède à un intérêt d’orgueil ou de volupté, et, sur ce point, j’en appelle sans crainte à la conscience de tous les incrédules[1]. » Qu’ajouter à la douloureuse éloquence d’un pareil rapprochement ? M. de Lamennais pense donc que le christianisme « réduit les hommes à l’aveugle obéissance des brutes. » Je ne répondrai pas moi-même ; mais Bossuet a répondu pour toujours à « ce superbe qui croit s’élever au-dessus de tout et au-dessus de lui-même, quand il s’élève au-dessus de la religion qu’il a si long-temps révérée. » Écoutez cette raison majestueuse et souveraine :

  1. Essai sur l’Indifférence, t. I, p. 251.