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actuelle et fondent le point d’appui et la sanction de leurs lois. M. de Lamennais refuse à l’homme une autre fin dans une existence ultérieure que celle qui lui paraît assignée par les lois de la nature dans la vie présente. « La fin de l’homme, dit-il, à toutes les phases de son développement éternel, qu’est-ce sinon la fin de la nature humaine, puisque l’homme n’est lui-même que cette nature réalisée au sein de l’univers, ou incarnée dans des organes individuellement distincts, indéfiniment multiples ? Toute autre fin est donc, non-seulement chimérique, mais contradictoire. » Or, d’après M. de Lamennais, la fin de la nature humaine est la même que celle de l’univers ; c’est Dieu, dont l’univers est la reproduction éternelle sous la condition du fini. « L’homme tend à sa fin, comme toute la création, en vertu de ses lois naturelles ; il s’en rapproche ou s’approche de Dieu, suivant la perfection de son obéissance à ces mêmes lois, qui sont les lois de sa vie, les lois de sa conservation et de son développement. Mais le terme où il tend, il ne l’atteindra jamais, parce qu’il ne sera jamais l’être infini. L’homme meurt pourtant, meurt-il tout entier ? Quelle est sa destinée au-delà de la mort ? Ici, le contempteur de l’ordre surnaturel est de nouveau forcé de faire appel à la foi : « Il n’est point, dit-il, de foi plus universelle, plus profonde, plus indestructible que celle à la persistance ininterrompue de l’être, à la perpétuité de la vie. Cette foi spontanée, antérieure à tout raisonnement, à tout système conçu par l’esprit, repose sur un pressentiment qui est dans l’homme la voix de la nature même. » Ainsi, pour gage de l’immortalité de l’ame, M. de Lamennais nous donne un pressentiment ; puis, pour toute lumière sur cette existence future, il présente une induction poétique. « Le progrès possible à l’individu sous sa forme organique actuelle étant accompli, il rend à la masse élémentaire cet organisme usé, et mourir c’est naître. » Enfin, se figurant la nature humaine à travers la série éternelle de ses existences successives, « l’homme, dit M. de Lamennais, aspire à Dieu par une nécessité intrinsèque de son être, et, en aspirant à Dieu, il aspire au bien infini, dont la pleine possession serait cette béatitude parfaite, absolue, toujours par lui si vainement cherchée, car il n’est capable de rien d’infini ; il peut, il doit de plus en plus pénétrer dans le bien, mais jamais il ne le possédera complètement. » S’élevant donc contre les religions qui promettent le bonheur à l’homme dans une vie future, M. de Lamennais s’écrie : « Renonçant à cette vaine fiction de bonheur terrestre, on l’a transportée en une autre vie, où cette dernière fin de l’homme doit, dit-on, être atteinte ; mais là encore, pour peu qu’elle y regarde sérieusement, la raison retrouve l’impossible. En déplaçant le problème, on ne l’a pas résolu, car il renferme une contradiction radicale, la contradiction inhérente à l’hypothèse d’une nature finie possédant un bien infini, l’embrassant, se l’assimilant, selon tout ce qu’il est. Éternellement l’homme y aspire, éternellement il fuit devant