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qui rejaillissent à travers le doute et la croyance, — comme les entrailles renaissantes de Prométhée, — auxquelles il vous faut apporter des solutions complètes, décisives, animées surtout de cette force intime qui commande la conviction et détermine les actes, sous peine de voir vos conceptions répudiées comme arbitraires, illégitimes et fausses. Certes, la pensée seule d’entreprendre une tâche semblable était déjà, chez M. de Lamennais, la preuve qu’il en comprenait toute l’étendue, tout le poids, toutes les obligations impérieuses.

M. de Lamennais le comprend apparemment si bien, il se fait de cette tâche une si vaste idée, que les religions et la plus parfaite de toutes, le christianisme, ne lui paraissent plus donner aux questions soulevées par la destination de l’homme que des réponses insuffisantes, indignes de notre raison, fatales même à notre morale. Les religions ont, en effet, à ses yeux, le tort de se fonder sur un ordre surnaturel qui ne peut tomber sous les conditions de la connaissance rationnelle et qui n’est accessible qu’à la foi. M. de Lamennais demande plus que cela, il veut que les lois de l’homme et de la société première, même dans leurs rapports à Dieu et à la création, se dévoilent à la raison avec la clarté souveraine de l’évidence. Il faut citer les termes dans lesquels M. de Lamennais rejette la révélation et exprime ses exigences, et par là même les engagemens qu’il prend pour son compte : « Aucune erreur, dit-il, n’a jeté de perturbation plus générale et plus profonde dans les idées humaines, ni, par une conséquence nécessaire, dans les relations des hommes entre eux, dans la société tout entière, que celle de l’existence d’un ordre surnaturel, dont les lois ne sont ni les lois internes de Dieu, ni les lois propres de l’univers, mais des volontés de l’Être absolu, lesquelles, n’ayant de raison qu’elles-mêmes, ne peuvent en ce sens être conçues que comme arbitraires… Le système qu’on vient de discuter devait se produire aux époques premières, et il devait aussi, se modifiant selon le progrès de la connaissance, s’évanouir enfin devant la lumière qui, peu à peu, dissipe les ombres où s’égare l’esprit. Il appartient originairement à l’âge poétique du genre humain, à cet âge où l’imagination, avide du merveilleux, s’efforce de résoudre le grand problème de l’homme et de ses destinées, non par les lois universelles des êtres, lois ignorées encore et que le temps seul révèle, mais par l’intervention permanente, immédiate de la cause infinie, dont ces lois ignorées sont le mode nécessaire d’action. Toutes les idées étant confondues, tantôt Dieu, devenu homme, agit selon les pensées et les passions humaines ; tantôt l’homme, devenu Dieu, revêt ses attributs, exerce sa puissance : d’où, en dehors de toute loi, en dehors des lois naturelles de Dieu, en dehors des lois naturelles de l’homme, en dehors de tout ce qui est et peut être, ce fantôme vide qu’on nomme ordre surnaturel. Laissons ces vaines rêveries, fables