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qui foudroient le génie et déracinent la puissance. Y a-t-il dans quelques gouttes d’encre répandues sur quelques feuilles volantes un charme suffisant pour dompter la fanatique fureur qui fait couler le sang des peuples ? Hélas ! nous l’ignorons ; mais nous ne devons point trébucher sur ce doute, et, quoi qu’il puisse arriver, il faut écrire. Il faut écrire, quand il n’y aurait plus d’autre noblesse à protester contre l’oppression de l’erreur populaire que celle que Pascal saluait dans l’homme dominant par le jaillissement de la pensée les forces brutales de la nature qui l’écrase. Il faut écrire, quand ce ne serait plus que pour faire arriver, en ces temps d’alarmes, à des amitiés lointaines, à des sympathies dispersées, le cri de ralliement des sentinelles perdues. Il faut écrire, quand il ne resterait plus qu’à aller au-devant d’une défaite glorieuse ; car, aux temps révolutionnaires, nous répondons de notre volonté, non des résultats que la Providence en tire ; car le mérite n’est pas attaché au succès, mais à l’effort ; car nous avons à combattre, non pour la victoire, mais pour le devoir.

Il faut écrire surtout pour empêcher de nobles principes, des droits précieux de tomber dans le mépris de l’opinion, qui sort toujours plus abaissée et plus corrompue des catastrophes révolutionnaires. C’est assurément un état lamentable pour un peuple d’être réduit à ne plus marquer que par des révolutions ses étapes dans l’histoire ; mais, quelque funeste que soit cette maladie, il ne nous est jamais permis de la croire mortelle et de nous coucher en tournant le dos à l’avenir. Les révolutions sont un scandaleux mélange de bien et de mal, de bon grain et d’ivraie. En attendant que Dieu ait achevé la moisson des événemens et le triage suprême des idées, il faut que des esprits inébranlables dégagent de ce pêle-mêle impur les fruits durables qu’il enferme. C’est l’œuvre que les plus illustres de nos pères ont accomplie depuis soixante ans. Ce n’est pas la première fois, hélas ! que les espérances qui ont accueilli la rénovation de 89 sont démenties et humiliées. Ce n’est pas la première fois, en France et en Europe, que les plus nobles cœurs, qui s’étaient dévoués à l’émancipation des peuples, se détachent avec repentir de cette belle cause, si souvent et si tristement souillée. Que serait devenue notre patrie, si, dans ces mauvais jours, à ces heures sombres où la notion du bien et du mal s’obscurcit dans les consciences, au moment, par exemple, où la France saignante et la convention décimée tremblaient sous la tyrannie infamante d’un Robespierre et d’un Marat, si alors même des hommes intrépides, réfugiés sur la sereine hauteur de leurs convictions, n’eussent conservé dans une espérance invincible les dernières étincelles de liberté où puisse encore se rallumer notre génie ?

Renier le bien à cause du mal qui un instant le submerge, n’est point la seule tentation dont il soit nécessaire de nous défendre. Il est