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choix. Elle ne pouvait pas mieux faire, puisque M. Manin est l’ami fidèle de Venise, à laquelle il a tout donné chaque fois qu’elle a eu besoin de ses services. Il est à désirer pourtant que M. Manin s’applique davantage à lutter contre les défauts regrettables qui chez lui s’unissent à de brillantes qualités. Qu’il se défie surtout de cette humeur impérieuse, de cette tendance à dédaigner la discussion qui pourrait l’entraîner à de fâcheux écarts. A Venise plus qu’ailleurs peut-être, le pouvoir a des traditions et des prestiges qui peuvent égarer à la longue l’ame la mieux trempée. Ce n’est pas dans les archives du conseil des Dix, nous l’espérons, que M. Manin cherchera ses inspirations politiques. Entre les procédés d’une dictature surannée et les principes féconds de la liberté moderne, il ne pourra long-temps hésiter.

Quel que soit le sort réservé à Venise, quelles qu’aient été les fautes de son gouvernement, personne ne contestera aujourd’hui à cette malheureuse ville le mérite d’une constance qui touche à l’héroïsme. Nous n’ignorons pas les reproches sévères qu’on peut en ce moment même adresser à l’Italie. Dissimuler ses torts, ce n’est pas les effacer, et ce serait un pauvre patriotisme que celui qui porterait aujourd’hui un Italien à ne reconnaître aucune différence pour la gloire de son pays entre le printemps et l’automne de 1848. Non, ce patriotisme n’est pas le mien. Nous avons commis des fautes, à quoi bon le nier, puisque nos malheurs l’attestent et portent de ces fautes mêmes le plus irrécusable témoignage ? Mais la conduite de Venise nous dédommage de bien des humiliations, et au milieu de tant d’amertumes nous nous souviendrons que la gloire vénitienne est venue jeter quelque douceur. L’Europe, l’Italie même, semblaient avoir oublié Venise et ne plus se soucier de cette ville perdue dans les mers. On la disait impuissante aussi bien à reconquérir qu’à garder son indépendance. Aujourd’hui Venise donne à ces injustes accusations un démenti solennel. L’Europe lui a rendu ses sympathies, et l’honneur italien trouve en elle un dernier rempart. Un jour viendra, nous l’espérons, où la réparation sera plus complète encore. Ce jour-là, l’Italie aura reconquis son indépendance, et Venise sera célébrée, entre toutes les villes libres italiennes, comme n’ayant jamais ni désespéré de la patrie ni hésité dans ses sacrifices à la sainte cause de notre affranchissement.


CHRISTINE TRIVULCE DE BELGIOJOSO.