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la longueur du pont du chemin de fer qui unit Venise à la côte. La partie du rivage qui fait face à la ville est garnie, sur une ligne de soixante milles d’Italie, de trente-six fortins tous en parfait état de conservation, bien gardés et défendus par quatorze cents pièces d’artillerie. La garde des côtes est confiée à une petite garnison dont le service est des plus pénibles. Une centaine de péniches ou embarcations de guerre, montées chacune par quinze soldats de marine, côtoient incessamment le rivage. C’est sur ces légers navires, exposés jour et nuit aux intempéries de l’air et aux boulets autrichiens, que ces braves soldats ont passé tout l’été de 1848. Du côté de la mer, le blocus de Venise est en ce moment rendu impraticable par la présence de six bâtimens français, seize bâtimens sardes et treize vénitiens[1]. L’armée de terre qui défend Venise est d’à peu près vingt mille hommes. Il n’y a là presque pas de troupes régulières, et seulement des corps de volontaires siciliens, napolitains, toscans, romains, lombards, tyroliens et vénitiens. Des officiers français commandent plusieurs de ces légions, dont la tenue est admirable. De vieux soldats toléreraient difficilement les privations que supportent depuis six mois ces hommes qui ont renoncé à des habitudes douces et oisives pour vivre, à peine vêtus, à peine nourris, dans des forts baignés par une eau stagnante. Depuis six mois pourtant, on n’a eu aucune désertion à signaler.

Venise ne perd pas confiance, et à l’entrée de l’hiver son conseil municipal s’est réuni pour aviser aux moyens de traverser la saison rigoureuse. La proposition d’hypothéquer quelques-uns des chefs-d’œuvre de l’école vénitienne a été faite de nouveau et de nouveau repoussée. D’accord avec les principaux propriétaires, le conseil s’est décidé à ouvrir un nouvel emprunt de douze millions, dont il s’est constitué garant. Du papier-monnaie pour cette somme sera émis successivement, et la commune en garantit le remboursement sur son cens foncier. L’on compte, avec ces douze millions, faire face aux dépenses de l’hiver et atteindre le mois d’avril. D’ici là il faut croire que la souscription mensuelle d’un franc qui a été ouverte dans toutes les villes et bourgades italiennes et dans plusieurs capitales de l’Europe se sera développée suffisamment pour être d’un véritable secours à la république.

L’assemblée nationale vénitienne a eu dernièrement à se réunir pour procéder à la réélection du pouvoir exécutif : elle a maintenu ses premiers

  1. L’escadrille vénitienne compte quatre corvettes, six bricks, dont trois de premier et trois de second rang, deux goélettes, puis un bateau à vapeur de guerre, portant le titre de vaisseau amiral, et appelé la Lombardie. Ce bateau à vapeur, ainsi qu’un grand nombre de péniches, pirogues, etc., a été construit depuis la révolution de mars à l’arsenal de Venise. Dans la flotte sarde, on remarque aussi le Pie IX, magnifique bateau à vapeur de guerre plus considérable que le fameux Vésuve dont la marine autrichienne est si fière.