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quelquefois. Je ne citerai à ce propos que deux exemples, mais qui me semblent très concluans. Le ministre des affaires étrangères.de la république vénitienne avait adressé, après son installation, une circulaire à plusieurs souverains d’Europe, entre autres au roi de Grèce et à la reine Victoria. Dans la première de ces lettres, le ministre rappelait au roi Othon les anciens liens qui unissaient jadis certaines provinces du royaume de Grèce à la république de Venise ; il exprimait le vœu que de nouveaux liens fussent substitués aux anciens, et que l’amitié de deux nations libres et indépendantes succédât aux rapports moins équitables des anciennes colonies et de la mère-patrie. Le roi de Grèce répondit par une lettre aimable, et le ministre vénitien put penser que la correspondance n’aurait pas d’autres suites. Il ne devait pas en être ainsi. Un mouvement eut lieu dans les îles Ioniennes soumises à la Grèce, et le cri de vive Venise ! se fit entendre dans les rassemblemens, non comme regret de la domination vénitienne, mais comme témoignage de sympathie pour les idées qui venaient de triompher au bord de l’Adriatique. Un journal de Milan raconta le fait, et demanda à ce propos si Venise avait quelque envie de revendiquer ses anciennes conquêtes. Un journal vénitien reproduisit l’article du journal de Milan. Le ministre des affaires étrangères crut qu’il suffi de protester dans l’intimité contre des insinuations aussi absurdes. Aux questions qui lui furent adressées à ce sujet, il se contenta de répondre qu’aucun Vénitien, à moins d’avoir perdu l’esprit, ne pouvait rêver le retour d’un état de choses complètement et irrévocablement détruit. Il serait aussi déraisonnable à Venise, ajoutait-il, de prétendre conquérir les îles Ioniennes que de vouloir planter son drapeau sur les minarets de Constantinople. Malgré cette réponse, la république de Venise resta convaincue, faute d’une rectification officielle, d’avoir voulu disputer à l’Angleterre la possession des îles Ioniennes. On alla même jusqu’à citer une prétendue proclamation que le gouvernement de la république aurait adressée aux populations de ces îles pour les engager à secouer le joug et à se replacer sous la tutelle toute paternelle et bienfaisante du lion de Saint-Marc. Il va sans dire que cette proclamation n’avait jamais existé.

Une accusation de même force fut aussi portée contre Venise au sujet de l’Istrie. Dès le XIIIe siècle, en effet, une partie de l’Istrie s’était donnée à Venise, et n’avait cessé de lui appartenir qu’à la chute de la sérénissime république ; l’autre partie était sous la dépendance de l’Autriche. En 1817, des motifs de convenance administrative amenèrent la réunion des deux parties de l’Istrie en une seule province autrichienne, ayant Trieste pour chef-lieu. Or, Trieste et son territoire font partie de la confédération germanique ; mais l’Istrie vénitienne, quoique réunie à l’Istrie autrichienne par les liens de l’administration intérieure, quoique subordonnée à Trieste, comme la province l’est au chef-lieu, n’a