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M. Manin ayant jugé que le caractère provisoire du gouvernement lui interdisait toute réforme dans les institutions. Les ministères eurent donc à fonctionner en présence de l’administration telle que le gouvernement autrichien l’avait laissée. Quant à la consulte d’état, elle rencontra tout d’abord dans les prétentions dictatoriales du président de la république un obstacle à son influence. M. Manin écoutait à peine les propositions ou les réflexions des représentans des provinces. Il leur lançait souvent des mots d’une brusquerie toute napoléonienne ; quelquefois même il refusait de recevoir les membres de la consulte ou leur adressait en public des reproches amers. C’étaient autant de blessures que les députés n’étaient pas seuls à ressentir, et qui eurent pour effet de détacher de plus en plus les provinces de la capitale.

Jamais cependant l’union n’avait été plus nécessaire à la Vénétie. En proclamant la république, Venise avait éveillé les soupçons et les susceptibilités des états monarchiques de l’Italie et de l’Europe. Le Piémont voyait dans cette proclamation le refus anticipé de faire partie de ce royaume de l’Italie septentrionale dont la création le préoccupait si vivement. Les partisans de l’unité italienne reprochaient à Venise de déployer un drapeau qui, n’étant pas celui des autres états de la péninsule, semblait, en présence de l’étranger, un dangereux appel à la discorde. La Lombardie, ou, pour parler plus exactement, la majorité des Lombards, déjà résolus à s’unir au Piémont, craignaient d’être appelés à choisir entre l’union avec le Piémont et l’union avec Venise. Les Lombards sentaient que leur intérêt leur conseillait le premier parti, tandis que leurs sympathies les entraînaient vers le second. Ils en voulaient à Venise de les avoir placés dans cette alternative.

L’attitude de l’Italie était donc froide et embarrassée à l’égard de la nouvelle république. La France aussi se bornait vis-à-vis de Venise à des assurances peu significatives, et semblait réserver sa bienveillance pour le futur grand royaume de l’Italie du nord. Quant aux autres puissances européennes, elles ne cachaient pas leur mauvaise humeur, qui fut encore aigrie par les articles peu bienveillans des feuilles piémontaises. Les populations de la rive gauche de l’Adriatique s’étaient souvenues des liens qui les unissaient à leur ancienne capitale, et la vie nouvelle qui circulait dans la cité des lagunes réveillait en elles des sympathies qui se manifestaient par des démonstrations bruyantes. Ces démonstrations servaient de prétexte à ceux qui accusaient Venise de projets ambitieux et qui lui prêtaient des rêves de conquête. Il y avait dans le Piémont un parti qui ne pardonnait pas à Venise de ne s’être point réunie, aussitôt après l’expulsion des Autrichiens, à la monarchie piémontaise. Aussi ne négligeait-on rien pour faire sentir à Venise les difficultés qu’elle s’était créées et pour mettre en relief les fautes de ses gouvernans ; ces fautes, on ne se contentait pas de les relever, on les exagérait, et, comme on va s’en convaincre, on les supposait