Il n’eut pas à chercher long-temps les prisonniers, que les geôliers tremblans suppliaient de se montrer pour apaiser et contenir la foule enivrée de son triomphe. MM. Manin et Tommaseo, à peine aperçus, furent enlevés sur la place Saint-Marc et transportés sur une estrade, d’où ils adressèrent au peuple quelques paroles accueillies par des applaudissemens enthousiastes. Ainsi se termina cette première journée de la révolution vénitienne. Le peuple avait retrouvé ses chefs, et il s’arrêtait satisfait d’avoir préludé à la lutte par une victoire, mais décidé à marcher plus loin.
Deux jours se passèrent sans que la constitution eût été publiée ou seulement communiquée aux autorités municipales. Les hommes qui avaient dirigé l’agitation pacifique à Venise se demandaient ce qu’ils avaient à faire pour continuer et mener à bonne fin le mouvement commencé. Les obstacles que rencontrait ce mouvement dans les autorités autrichiennes étaient-ils bien redoutables ? C’est ici le lieu de dire quelques mots des trois hommes. qui personnifiaient à Venise la puissance de l’Autriche : le gouverneur comte Palfy, le général comte Zichy, commandant militaire, et le colonel Marinowich, gouverneur de l’arsenal et chef de la marine.
C’est ce dernier, il faut le dire d’abord, qui assumait en quelque sorte sur sa personne tout le fardeau de l’impopularité attachée au nom et aux actes de l’Autriche. Jadis officier d’ordonnance de l’amiral Paolucci, M. Marinowich avait été promu au commandement en second de la marine vénitienne sous la suprématie nominale de l’archiduc Frédéric. De tristes et sombres histoires circulaient à Venise sur les rapports de Marinowich avec ce prince, dont la mort prématurée avait vivement ému la population. Quoique archiduc et quoique Autrichien, l’amiral Frédéric avait su conquérir la sympathie des Vénitiens. Il était fort jeune et semblait fort malheureux. On parlait vaguement de son amour pour la fille d’un simple comte et de la colère de la cour de Vienne, qui non-seulement s’était opposée au mariage du prince, mais l’avait forcé à prononcer les vœux des chevaliers de Malte. On disait aussi que Marinowich avait été placé auprès de l’archiduc moins comme un conseiller que comme un gardien. On ajoutait qu’il n’avait que trop bien rempli sa triste mission. En effet, réduit à vivre sous la surveillance de cet inflexible geôlier, il n’avait pas tardé à s’affaisser sous le poids d’une maladie de langueur qui avait fait craindre pour ses jours. Le médecin du prince avait alors écrit à Vienne, sollicitant pour lui un changement de séjour ; mais il était trop tard. L’archiduc était mort quand arriva la réponse impériale. Il était mort à vingt ans. Du jour de son premier chagrin à celui de son agonie, six mois s’étaient à peine écoulés. On enferma les restes du jeune prince dans l’or et dans la soie, on prononça sur sa tombe des discours emphatiques dans lesquels