Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/794

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moisson d’odes et de sonnets. Les premiers écrits où l’on attaqua l’Autriche au nom de l’indépendance italienne étaient accueillis, en revanche, par un concert assourdissant de sarcasmes et d’imprécations. Enfin, pendant que la presse clandestine travaillait incessamment à répandre dans toute l’Italie les sentimens de patriotisme et de nationalité, Venise seule demeurait muette, et je ne sache pas que, ni en 1846 ni en 1847, un seul écrit inspiré par les idées nouvelles soit sorti de ses presses pour aller grossir le flot de publications politiques qui inondait, à cette époque, le reste de la péninsule. Ce n’est pas Venise néanmoins, nous le répétons, qu’il fallait, en cette circonstance, accuser de tiédeur, mais une partie de sa population, qui manquait nécessairement de l’indépendance du caractère, parce qu’elle n’avait pas l’indépendance de la position.

La noblesse résumait en elle les penchans, bien distincts pourtant, des deux classes dont je viens de parler. Quelques représentans des familles patriciennes avaient oublié leur passé et s’étaient courbés sans regrets devant la majesté de la puissance impériale. Aujourd’hui encore, plus d’un nom, jadis illustre dans les fastes de Venise, est inscrit sur les cadres de l’armée autrichienne ; mais aussi combien de nobles vénitiens ont préféré à des honneurs trop chèrement achetés le titre de maître d’école dans un village de France ou d’Amérique ! combien ont caché leur nom sous un nom plus obscur pour ne pas éveiller la curiosité des indifférens, et exercent d’humbles professions ! combien, mieux traités par la fortune, ont conservé de quoi vivre dans une mansarde de leur palais en ruine, et s’efforcent d’oublier, dans l’étude et l’espoir d’une vie meilleure, les douleurs de la vie présente !

Les Bandiera étaient de Venise, et ils appartenaient à une famille patricienne. Leur père portait le titre d’amiral au service de l’Autriche. Destinés à la même carrière, ses deux fils furent élevés dans le collége de la Marine, institution italienne dans un pays soumis à l’Autriche et restée complètement à l’abri des influences étrangères. Ce fut peut-être à cette éducation toute nationale que les jeunes Bandiera durent l’exaltation généreuse dont ils furent victimes. Entrés de bonne heure dans la marine autrichienne, ils s’enrôlèrent bientôt dans l’immense association connue sous le nom de la jeune Italie. La triste et courte histoire de leur expédition en Calabre a été souvent racontée ; ce qu’on sait moins, c’est que Mazzini, le chef de la jeune Italie, avait désapprouvé la tentative des jeunes Vénitiens, et les lettres qu’il leur écrivit sont là pour témoigner des efforts qu’il fit pour les en dissuader. Quoi qu’il en soit, les Bandiera persistèrent dans leur projet ; l’uniforme autrichien leur pesait, ils coururent au martyre. Les derniers détails de cette triste légende ne sont pas les moins émouvans. Le père des jeunes victimes envoya sa démission à l’empereur et devint aussitôt