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On sait à travers quelle série de désastres la révolution lombarde, commencée sous de si nobles auspices, est venue aboutir à la plus douloureuse catastrophe[1]. Moins brillante dans ses débuts, moins régulière dans ses développemens, la révolution de la Vénétie ne mérite pas moins que celle de Milan l’attention sympathique des amis de la cause italienne. L’habileté a pu manquer aux chefs de ce mouvement, mais non la droiture, et, si leurs actes ont donné quelquefois prise à la critique, du moins leur fermeté n’a-t-elle jamais été en défaut. C’est peut-être à cette précieuse alliance de la fermeté et de la droiture que Venise, plus heureuse que Milan, doit d’avoir pu défendre jusqu’à ce jour, même après de cruels revers, le drapeau reconquis de son indépendance. Désormais il faudra renoncer aux lieux communs qui avaient cours depuis trop long-temps sur le caractère vénitien. Ce peuple, qui passait pour le type de l’insouciance, de la servilité, de la corruption souriante, donne à l’Europe un grand exemple. Depuis cinq mois, il soutient un blocus étouffant ; chaque jour, il entend gronder le canon, il voit les bombes raser la mer à quelques pas de ses maisons. Privé de toute ressource, puisque le sol qui le porte ne peut pas le nourrir, abandonné par des alliés auxquels, dans l’espoir d’un concours vainement attendu, il s’était soumis comme à des maîtres, le peuple vénitien ne perd pas courage, et se dépouille de sa dernière obole pour offrir à son gouvernement les moyens de soutenir l’état. Il a rompu avec toutes les habitudes, avec tous les souvenirs de la vie de luxe et de repos qui lui était familière. Il paraît résolu à tout souffrir, à tout sacrifier, plutôt que de perdre sa liberté. Un tel spectacle offert par Venise ne sera pas compté assurément parmi les faits les moins étranges et les moins curieux de notre époque.

Cette étrangeté même, à vrai dire, a contribué à égarer l’opinion sur le compte des Vénitiens. On les a jugés d’abord avec une sévérité qui prenait sa source dans des préventions surannées. La mauvaise réputation du peuple vénitien lui a porté malheur en cette circonstance. Lorsque la république fut proclamée à Venise, on ne vit là d’abord qu’une folle boutade d’orgueil national. On crut à une résurrection ridicule de la vieille république de Saint-Marc, avec son doge, ses inquisiteurs, ses gondoles à soupape et sa police invisible, Il n’y eut pas jusqu’à la ressemblance purement fortuite du nom du président du gouvernement provisoire avec celui du dernier doge de la sérénissime république qui ne fournît prétexte à des insinuations malveillantes. Quelques proclamations adressées par le gouvernement aux habitans des provinces ioniennes semblèrent dirigées contre la domination an-

  1. Voyez dans les livraisons du 15 septembre et du 1er octobre, les articles sur la révolution lombarde.