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moderne, tel qu’il tend chaque jour davantage à se constituer, ne leur offre plus ce spectacle du vieil âge qui excitait leur imagination. Que sont devenus ces tribunaux véhmiques, ces assemblées tenues la nuit au fond d’un souterrain, où, se dévouant pour les races opprimées, ils juraient mort aux tyrans ? Aujourd’hui tout est au grand jour ; ce qu’ils regrettent de la féodalité, c’est de n’avoir plus à conspirer contre elle. La liberté moderne les a licenciés ; ce sont de braves condottieri, sans emploi depuis que la paix est faite.

Vesséliny était le digne chef de ces hommes ; il avait toutes les qualités, bonnes et mauvaises, nécessaires pour être à leur tête : l’énergie morale et cette force de corps, prisée encore par des populations rudes et grossières. Des formes athlétiques, une tête large couverte d’une épaisse chevelure à la Mirabeau, une voix tonnante, faisaient de ce personnage quelque chose de grand, mais de monstrueux, qui restait dans l’imagination. C’était, disait-on à Vienne, la tête la plus forte et la plus noire de la Hongrie. Vesséliny possédait de grandes seigneuries en Hongrie et en Transylvanie ; il avait ainsi le droit de siéger dans les deux diètes. En 1835, la diète de Transylvanie, à laquelle il avait soufflé sa violence et ses passions, fut dissoute par le gouvernement autrichien. Vesséliny fut poursuivi pour avoir publié les discours les plus séditieux tenus dans cette assemblée. On chercha aussi à attaquer sa popularité ; les violences auxquelles il se livrait souvent contre ses paysans servirent de prétexte à un procès criminel. Condamné par contumace en Transylvanie, il passa en Hongrie. Là, exaspéré par la perte d’une partie considérable de sa fortune, il chercha à soulever quelques comitats ; accusé comme suspect de haute trahison pour un discours tenu dans la congrégation du comitat de Szathmar, il fut décrété de prise de corps ; un club formé à Presbourg sous ses auspices devint l’objet de semblables poursuites. Ce club était composé de jeunes gens dont quelques-uns, tels que Lowassy et Pulsky, ont figuré dans la dernière révolution.

L’opinion publique s’émut de ces arrestations : si légitimes qu’elles paraissent dans nos habitudes d’ordre et de procédure régulière, elles pouvaient bien être assez peu conformes à la constitution et aux privilèges de la noblesse. D’ailleurs, ceci se passait vers 1840. Des mécontentemens, qui menaçaient de devenir graves, s’étaient déjà fait jour dans le pays. On avait vu là, comme partout, le désappointement qui suit toujours les réformes : ceux qui perdent sont mécontens, ceux qui gagnent ne tardent pas à le devenir, ne trouvant jamais cet Eldorado qui leur avait été promis ! C’est ce qui arriva notamment pour les modifications apportées au code urbarial. La noblesse pauvre sentit vivement les pertes qu’elle avait faites par la suppression des petites dîmes. Les paysans, auxquels on avait dit qu’ils n’en paieraient plus aucune,