Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/692

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’article le plus important peut-être était l’article 8. Il autorisait, il provoquait les seigneurs à conclure avec leurs paysans des arrangemens déjà pratiqués dans certaines parties de la Hongrie, et notamment dans le Bannat, mais qui, jusqu’alors, n’avaient eu d’autre garantie que la bonne foi publique. Par un acte appelé contrat à perpétuité, les paysans, les villages entiers, pouvaient acquérir la propriété des terres dont ils étaient tenanciers, moyennant une somme payable en une ou plusieurs annuités. Le comte Desewfy pouvait dire en toute vérité, après cette loi, qu’au delà de ce qui venait d’être fait, il ne pouvait plus y avoir que spoliation pour les seigneurs et injustice à l’égard de ceux des paysans qui, n’étant point tenanciers, auraient plutôt perdu que gagné à l’abolition des charges urbariales.

Ce que je viens de dire suffit à montrer les nouvelles voies dans lesquelles le gouvernement marchait résolûment, appuyé par la faveur publique. Je n’ai pas à examiner si, sur d’autres points de son empire, il ne pouvait pas fournir de justes prétextes aux accusations de tendances rétrogrades qui ne lui ont pas été épargnées ; mais en Hongrie, jusqu’au dernier moment, grace, si l’on veut, au palatin, grace à l’influence des riches et puissans magnats qui se rendaient caution à Vienne de la tranquillité des esprits, sa politique fut constamment sage et libérale. Au fond, il accomplissait le programme tracé dans les publications populaires de Széchény. Dans les pays libres, ce n’est pas le pouvoir seul qui gouverne ; Széchény régnait sur l’opinion. C’est surtout après cette diète, et jusqu’à la convocation de celle de 1839-40, que la popularité et la gloire de Széchény furent sans partage ; il était bien le premier citoyen de son pays, et ce titre, il l’avait mérité autant par son respect pour la justice et les droits de tous que par la hardiesse de ses plans de réforme. Il avait animé son pays sans le bouleverser ; telle avait toujours été son ambition. « Je veux réveiller mes compatriotes, disait-il à un étranger, pour qu’ils marchent et non pour qu’ils se jettent par les fenêtres. » Son nom était dans toutes les bouches. Les comitats lui envoyaient à l’envi des adresses patriotiques et des diplômes d’indigénat qui lui donnaient le droit de voter dans leurs congrégations particulières ; quand il arrivait dans quelque village, les paysans, musique en tête, allaient le recevoir à l’entrée ; tous voulaient le voir et l’entendre, l’appelant leur père et leur libérateur. Mais ce n’était pas seulement dans les classes dont il avait soutenu les intérêts qu’éclataient la reconnaissance et l’admiration. Les états de Transylvanie faisaient hommage à l’éloquent publiciste d’une plume en or de quelques pieds de long ; on donnait son nom au premier bateau à vapeur qui devait sillonner le Danube ; l’académie nationale, le cercle de la noblesse, l’institut pour la langue hongroise, l’élisaient à la fois pour leur président.