Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/688

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni édifices publics, ni navigation, ni commerce ; comment transportez-vous les produits de vos champs, je ne dis pas à Fiume, à Vienne ou à Cracovie, mais à la ville la plus prochaine ? Vos chevaux et vos bœufs s’enfoncent dans les boues, vos attelages périssent en route. Bon Dieu, vous vous imaginez ne pas payer d’impôts ! Mais calculez donc ce qu’il en coûte à vos frères d’Autriche pour transporter leurs grains sur une chaussée bien unie au marché le plus prochain, et à vous pour les faire arriver à la même distance. S’agit-il cependant de sacrifier votre constitution à un pouvoir étranger ? Est-ce un maître qui veut vous imposer arbitrairement ? Non ! c’est vous et vous seuls qui devez prononcer. Pouvoir changer, retrancher une de ses libertés, n’est-ce pas cela même une plus grande liberté ? C’est celle de tous les peuples grands et habiles qui se sont partagé l’empire du monde, c’est celle de Dieu même qui s’est fait des lois ! »

Selon l’auteur, la dîme et les corvées sont une autre plaie de la Hongrie. Ceux qui s’effraient des vœux qu’il forme pour le rachat entendent bien mal leurs intérêts. « Vous vous imaginez, dit-il, que le seigneur et le paysan sont comme deux joueurs dont l’un ne peut gagner sans que l’autre perde ! Il n’en est rien ; ce sont deux associés qui profiteraient tous deux de la plus-value de la terre et des récoltes, Les corvées ordinaires, les charrois, les réparations, prennent au paysan plus de la moitié de l’année. Quelle perte pour lui ! et vous, quel profit en tirez-vous ? Qui ne sait qu’un manœuvre fait plus d’ouvrage en un jour que vos paysans de corvée en trois avec leurs bêtes étiques, leurs charrettes d’osier, leurs outils hors d’état et surtout leur mauvais vouloir ? Ne dit-on pas de tout méchant ouvrage : C’est un ouvrage de corvée ? Ah ! croyez-vous que vos champs ainsi cultivés rapportent les moissons que le ciel accorde seulement au travail actif et intelligent ? En prenant même la mesure du profit pour celle du droit, pouvez-vous bien enlever au paysan cent journées qui n’en valent que trente pour vous ? Calculez la ruine dont vous vous frappez vous-mêmes en continuant, à travers les siècles, ce système insensé et brutal, qui anéantit les forces du pays ! »

Les répliques ne manquèrent pas ; les intérêts menacés avec tant d’audace n’épargnèrent pas les injures à l’auteur. « C’était un démocrate qui voulait le partage des terres et provoquait les paysans à la révolte ; c’était un renégat payé par l’Autriche qui voulait ruiner la noblesse hongroise en la chargeant de contributions ; c’était un étranger, un Anglais, un Français, tout ce qu’on voudrait, excepté un fils de la noble Hongrie. »

Parmi toutes ces publications, celle qui excita le plus vif intérêt fut la réponse du comte Desewfy, et parce que Széchény lui fit l’honneur d’une réplique, et à cause du nom de l’auteur. Desewfy était un vieux