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d’autre voie ouverte au commerce : c’est ce qui explique les alarmes des puissances toutes les fois que la Russie fait quelque tentative pour se rendre maîtresse de l’embouchure du fleuve dans la mer Noire. Mais c’est surtout, pour la navigation intérieure de la Hongrie et l’exportation de ses produits que le Danube offre des ressources incomparables. Sans le Danube, la Hongrie étouffe dans une abondance stérile ; comme elle a besoin de rester unie à l’Autriche pour se mettre en rapport avec les autres états européens, elle a besoin du Danube pour faire arriver ses produits sur les grands marchés de l’industrie. La Theiss, la Marosh, la Drave, la Save, forment, avec le fleuve dont elles sont tributaires, un réseau de navigation que quelques canaux d’une exécution facile rendraient un des plus complets du monde.

Le Danube, cependant, était comme oublié et dédaigné par les Hongrois. Rebutés par les difficultés que sa navigation présentait sur deux ou trois points, ils bornaient les services qu’ils en retiraient à la descente de quelques bateaux de transport ou de larges radeaux qu’on démolissait une fois arrivés. Széchény comprit, comme il le dit dans un de ses ouvrages, qu’il y avait là un magnifique don de la Providence que les hommes laissaient sans emploi. Il fit construire à Pesth un bâtiment d’une forme légère et solide tout ensemble, et franchit, avec quelques marins intrépides, les rapides elles écueils jusqu’alors regardés comme impraticables. Il y eut un enthousiasme universel en Hongrie, lorsqu’on sut les nouveaux Argonautes parvenus heureusement au-delà des redoutables Portes-de-Fer, dernières cataractes d’Orschowa. Les souscriptions patriotiques s’organisèrent de toutes parts pour commencer les travaux nécessaires et fonder une société de navigation. D’habiles ingénieurs eurent bientôt fait disparaître les principaux obstacles, et, une année après l’expédition aventureuse de Széchény, un service de bateaux à vapeur était en pleine activité sur le haut et bas Danube, de Ratisbonne à Vienne et de Vienne à Constantinople. Depuis cette époque, malgré toutes les nouvelles lignes des paquebots de Trieste et de Marseille, cette entreprise n’a fait qu’accroître le nombre de ses bâtimens et l’importance de ses produits. Grace à elle, les marchandises, les voyageurs et les idées circulent aisément dans cette contrée méditerranéenne, qui, hors le point extrême de Fiume, par lequel elle touche à l’Adriatique, pourrait être mise par ses voisins en une sorte de quarantaine politique et commerciale. On le voit, la navigation du Danube était une question politique. C’était bien ainsi qu’on la comprenait en Hongrie ; aussi tous les esprits s’y portèrent avec ardeur. Le gouvernement autrichien s’associa à ce mouvement et consacra à l’entreprise des fonds considérables. Le prince de Metternich figurait parmi les premiers actionnaires ; seulement il plaisantait quelquefois sur la prétention des Hongrois, « qui croyaient avoir inventé le Danube. »