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Plus tard, attaché à l’état-major, il combattit à la bataille de Leipzig, et soutint avec éclat la renommée de courage que ses ancêtres avaient méritée autrefois dans les guerres contre les Turcs. Après la paix de 1815, il passa à Londres ; au milieu même des plaisirs et des distractions de la jeunesse, son esprit fut fortement saisi du spectacle qu’il avait sous les yeux. La grandeur que les institutions et l’habileté d’une aristocratie libérale assuraient à l’Angleterre excita son admiration et son envie. Nous retrouverons la trace de ces premières et vives impressions dans la direction qu’il donna plus tard à ses réformes politiques et dans le rôle qu’il voulait assigner dans le gouvernement à l’aristocratie hongroise. Il ne revint dans sa patrie que pour s’y préparer, par des travaux sérieux, aux voyages qu’il voulait entreprendre. Il visita successivement l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Italie ; partout il étudia avec la curiosité naturelle à son esprit non-seulement les institutions politiques, mais aussi les méthodes diverses de l’agriculture et les découvertes de l’industrie moderne. Riche de ce butin, après avoir encore exploré l’Asie-Mineure et la Turquie, il retourna dans sa patrie ; il y rapportait un trésor d’observations et de connaissances variées dont son génie pratique devait bientôt chercher l’application. Un jour, comme un de ses adversaires lui reprochait de chercher ses modèles à l’étranger, se vantant, lui, de n’avoir étudié ni la France ni l’Angleterre : « Tant pis vraiment, répondait Széchény. Je veux croire à votre génie ; mais si vous travaillez seul, pendant dix ans, à faire des montres, et moi un an chez Bréguet, mes montres vaudront mieux que les vôtres. » Il était un de ces hommes rares chez lesquels l’imagination ne fait que découvrir le chemin à la pratique : l’enthousiasme du réformateur, de l’homme à projets, s’alliait chez lui à la persévérance, nécessaire à qui ne veut pas seulement parler à son siècle, mais agir sur lui. Prédicateur passionné et impérieux de ses doctrines, dès qu’il passait à la pratique, il avait, pour traiter avec les hommes, ce tact, cette habileté variée dans ses moyens, qui, lorsqu’elle ne prend rien sur la dignité du caractère, n’est qu’un hommage rendu à la liberté de jugement des autres. Il débuta par une entreprise dont le succès et l’éclat le mirent d’abord au premier rang et fixèrent sur lui les regards de ses compatriotes. Cette entreprise, à laquelle son nom restera attaché, c’était de rendre le Danube navigable : à la seule inspection de la carte, on se demande comment la Hongrie a jamais pu se passer de cette navigation ; mais Széchény la considérait d’ailleurs plus en politique qu’en ingénieur.

Le Danube est la grande route intérieure entre l’Europe et l’Asie ; depuis l’achèvement du canal rêvé par Charlemagne pour l’unir au Rhin, il établit une communication non interrompue à travers le continent européen. Dans le cas d’une guerre maritime, il n’y aurait point