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Il a, il est vrai, cet immense mérite que, sans ancêtres dans les arts, il est lui, toujours lui ; mais la composition ne lui apparaît point une, entière et tout armée. Que la toile soit petite ou grande, la partie esthétique et de conception n’a pour lui que malaise et labeur : il ne saurait produire sans s’ouvrir les quatre veines. Lorsqu’il commence, il ne sait où il va, et voilà pourquoi son goût le porte, comme il le dit lui-même, vers les sujets où il n’y a qu’une idée. Après qu’il en a rencontré un qu’il veut traiter, il essaie, sous des formes innombrables, les lignes et les masses dont il veut faire usage ; il arrange, il défait, il arrange encore. Ce n’est pas tout : subjugué comme il l’est par l’amour de la vérité, qui pour lui est la religion du devoir, il va,

Comme un poète qui prend des vers à la pipée,


il va cherchant autour de lui des modèles pour en adapter les traits, l’expression, les gestes à son canevas laborieux. Une belle tête, une expression, une pose, un geste, naturels, francs et hardis, s’offrent-ils à son regard, au lieu d’en confier la garde à la poésie de sa mémoire et de se les assimiler, il les glace sur le papier. A force de révision et de délibération, à force de difficulté à saisir l’ensemble, il se perd dans le dédale des détails, et comme le dit le poète allemand, les arbres l’empêchent de voir la forêt. ’Sa main-d’œuvre devient un art véritable : mais, en dépit de cet art même, on aperçoit la place des pièces de rapport et des soudures. Rivarol disait de l’abbé Delille : « il fait un sort à chaque vers et néglige la fortune du poème ! » Ce mot peut, jusqu’à un certain point, s’appliquer à Robert, dépourvu de toute spontanéité de jet, et qui travaille en mosaïque. Quand ce bon Delille avait achevé quelque morceau, il avait coutume de dire : « Maintenant où mettrons-nous cela ? » Ne serait-ce point le langage que Robert se tenait à lui-même, procédant de l’expression à la pensée, au lieu d’aller de la pensée à l’expression ?

Sera-t-il dieu, table ou cuvette ?

Au contraire, qu’on examine les dessins des maîtres, qu’on suive dans les traits d’une plume ou d’un crayon rapide la première pensée de telle de leurs œuvres, tout, sauf à revenir, tout, du premier coup, a été écrit avec ce parti pris, avec cette intuition d’ensemble qui fait jaillir la Minerve tout armée ; et, dans les linéamens informes, l’œil trouve la place de chaque chose : le principal et l’accessoire, la lumière et l’ombre.

Loin de là, Robert concevait et exécutait figure à figure, et ce qu’il déployait ensuite de peine et d’artifice pour relier et fondre le tout ensemble, pour grandir en même temps son style et l’élever au-dessus de la prose, est inoui. « Je fais mes tableaux d’une manière si singulière,