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La constitution hongroise, si nous avons réussi à en donner quelque idée, semble avoir été faite tout entière au profit de cette classe, ou plutôt cette classe est la constitution même ; le noble hongrois est et s’appelle un membre de la couronne de Hongrie : membrum sacroe coronoe ; il fait partie de la souveraineté ; au-dessus de lui, il n’y a que les nobles titrés, ou magnats, qui sortent de son sein ; au-dessous, pour représenter le tiers-état, rien que les habitans des villes libres, comptés à peine dans la diète, et les millions de paysans incapables jusqu’à nos jours de posséder et de procéder en justice, affranchis hier seulement de la glèbe. C’est cette noblesse, dont nous avons indiqué la proportion relative (six cent mille individus sur une population de plus de dix millions d’ames), qu’on voudrait nous donner pour le peuple hongrois tout entier, parce qu’elle est souvent pauvre et qu’il lui arrive quelquefois de labourer de ses propres mains son petit champ féodal. On a voulu comparer cette noblesse aux électeurs de la charte de 1830. Les nobles, a-t-on dit, représentent la nation hongroise, comme nos trois cent mille électeurs représentaient la France. Le rapprochement manque de vérité. Nulle comparaison n’était à établir entre cette classe fermée à tout renouvellement, se perpétuant uniquement par l’hérédité, et l’élément mobile qui composait nos anciens collèges électoraux. Celle-ci se défend par d’inaccessibles privilèges contre tout progrès des classes inférieures ; ceux-là, incessamment recrutés par la division des fortunes, s’ouvraient chaque année, non-seulement aux nouveaux arrivés des classes moyennes, mais à quiconque, dans les derniers rangs du peuple, avait les vertus qui doivent élever à l’exercice du pouvoir. Si l’on veut une comparaison, il vaut mieux se rappeler le gouvernement de l’ancienne Pologne et la définition de J.-J. Rousseau : « Là les nobles sont tout, les bourgeois rien, et les paysans moins que rien. »

Ce fut la gloire d’un petit nombre d’hommes qui semblaient avoir plus à perdre que la petite noblesse à cette substitution de la liberté aux privilèges, de sauver la Hongrie d’un dangereux anachronisme, de lui apprendre que c’était maintenant aux réformes, et non aux complots, qu’il fallait demander le salut du pays. Entre les deux routes qui s’ouvrirent alors pour la Hongrie, ils prirent non pas celle que leurs intérêts ou leurs rancunes historiques auraient pu leur conseiller, mais celle où devaient se rencontrer l’agrandissement de leur patrie et des conditions plus égales de bien-être et de liberté pour leurs concitoyens. Un grand nombre de magnats, et surtout de jeunes magnats, embrassèrent avec chaleur les nouvelles idées de progrès et d’améliorations sociales ; ils consacrèrent à cette cause toute l’ardeur de leur conviction, l’influence de leurs dignités et de leur fortune[1].

  1. Magni, Magnates, c’est ainsi que l’on appelle la portion de la noblesse titrée qui a un droit personnel de siège et de vote à la diète. On compte en Hongrie environ deux cents familles de magnats ; chaque magnat possessionné, sans distinction de primogéniture, a droit de siéger à la première chambre, ou, comme on l’appelle, à la table des magnats. Quelquefois et surtout dans la dernière diète, ils se sont présentés à l’élection pour entrer à la seconde chambre, on leur éloquence et leurs talens leur promettaient une plus grande influence.