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les sépare, » a dit Voltaire. De cette épreuve, qui rappelle celle que subissaient les rois d’Égypte après leur mort, Léopold Robert, depuis plus de treize ans que la postérité est venue pour lui, est sur plusieurs points sorti vainqueur. Tandis que les sectateurs exagérés de David, maladroits Argonautes embarqués à la recherche de la beauté, se sont engloutis dans l’oubli, Robert surnage avec une réputation plus pure, maintenant qu’elle est dégagée de cette atmosphère mondaine, souvent suspecte, où son succès l’avait jeté. Sa place est désormais fixée parmi les peintres les plus habiles de notre école ; et, en effet, à côté des œuvres des maîtres, ses principales productions exposées au musée du Louvre soutiennent, sans trop de désavantage, la comparaison.

Robert, cependant, n’était point un artiste complet. Il avait ses défauts : qui n’a pas les siens ? — Il est deux familles bien distinctes entre les artistes : d’abord les génies d’instinct, et par conséquent inégaux dans leur essor. Tel jour la lave coulera sur la toile en traits de feu ; quelques jours encore, et le volcan sommeillera ou sera éteint. Puissans de verve et de sentiment poétique et pittoresque, avides de l’infini, embrassant d’un coup d’œil l’ensemble et les détails, obéissant aux grandes lois intérieures qui les dominent, dédaigneux de procéder de celui-ci ou de celui-là, ils frappent une nouvelle monnaie et rajeunissent l’effigie sans altérer le coin. Ils sont fondateurs, originaux sans alliage, marchant droit dans leur individualité et dans leur force, nés d’eux-mêmes, en un mot fils de leurs œuvres. Ces génies-là sont controversés, car ils ne sont pas accessibles à tous, et chacun les interprète suivant sa façon de sentir. — Voilà les uns.

A côté de ces esprits générateurs fleurissent les intelligences égales et progressives. Pureté, sobriété, ordonnance, tel est leur programme. Toujours sûrs d’eux-mêmes, ils obéissent plus au raisonnement qu’aux tumultes de l’imagination, qu’aux courans de la sève. Leur veine, calme et sans caprice ni fantaisie, donne son jet en son temps et sans qu’une goutte s’en perde sur la route. Leur talent a ses procédés nobles, savans, définis : l’analyse en met à nu la racine. A eux le grand soleil pour mûrir, à eux l’héroïque patience, la correction scrupuleuse, une vie consumée dans l’ajustement du beau, une idée et un sillon où ils se maintiennent ; et progressivement ils grandissent, donnent leurs branches, et leurs fruits, et leur ombre. On voit en eux, pour ainsi parler, se superposer les couches de la végétation. -Voilà les autres : ceux-ci finissent toujours par être compris de tout le monde, et, dés-lors, se concilient à peu près tous les suffrages.

Robert tient de ces deux familles : — de la première, par la vérité et l’originalité de nature, par le dédain de la mode, par le profond caractère ; — de la seconde, par la timide sobriété de la pensée comme par le procédé d’exécution.