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preuve de qualités mélodieuses qu’il a eu tort d’oublier en frappant à la porte de l’Opéra. Les compositeurs de talent qui, comme M. Clapisson, s’élèvent de notre seconde scène lyrique à la première, sont bien mal inspirés, lorsque, traitant légèrement ces mérites aimables, ces chants attrayans et faciles qui firent leurs premiers succès, ils visent à ces beautés bruyantes, à cette science du tapage qui assourdit quelquefois, mais qui ne charme pas toujours. On a vanté chez certains hommes la dignité du silence ; on dirait que les compositeurs dont je parle recherchent la dignité du bruit. Cette erreur, et en général le système dans lequel sont conçus ces opéras en cinq actes, tels que Jeanne la Folle, tiennent à l’importance extrême qu’on avait donnée, dans ces derniers temps, à la musique. Du moment que la musique, au lieu d’être ce qu’elle sera toujours, un art charmant, une sorte de rêverie rhythmée, pleine de séduction pour l’ame et surtout pour les sens, devenait une philosophie, une des sérieuses notions de l’esprit humain, un des graves intérêts de la société et du monde, on comprend qu’elle traitât de puissance à puissance, et, comme les gens qui ont leur position faite ; se crût dispensée de plaire et de charmer. C’était l’époque où les pianistes se croyaient des hommes d’état, et où il suffisait d’avoir écrit une sonate ou de savoir chanter un air, pour être regardé comme un personnage essentiel à la prospérité publique. Mais le malheur rend modeste et sage ; aujourd’hui que les orages politiques ne laissent plus aux musiciens comme aux poètes, aux compositeurs comme aux écrivains, qu’une toute petite place qu’on leur dispute encore et que M. Proudhon voudrait bien ne pas leur laisser, ils comprendront que, pour attirer à eux ce public qui a tant besoin de distractions douces, il vaut mieux être aimable que pédant, mélodieux que tapageur ; que, si la musique n’intervient plus dans la direction des empires, si elle renonce à ses allures philosophiques et sociales, si elle ne met plus en mi bémol et en triples croches les destins de l’humanité, il lui reste à faire passer sur nos fronts échauffés par l’orage les brises des régions heureuses, à nous ramener, sur les ailes de la mélodie, vers cet idéal qu’effarouchent les révolutions, à nous faire oublier, de temps à autre, qu’il existe à deux pas de nous des tribuns, des sophistes et des démagogues ; voilà sa tâche aujourd’hui qu’elle ne s’en plaigne pas ; il en est peu d’aussi belles !

Ce bonheur d’oublier, nous l’avons goûté, l’autre soir, à l’Opéra-Comique, où le Val d’Andorre, de M. Halévy, a obtenu un grand et légitime succès. Nous avons été souvent sévère pour M. Halévy. Tout en reconnaissant les beautés correctes, élevées, magistrales, qui abondent dans la Juive et qu’on rencontre çà et là dans la Reine de Chypre et dans l’Éclair, il nous semblait que ce talent se recommandait plus par l’habileté que par la verve. Dans le Val d’Andorre, M. Halévy est demeuré toujours habile : il y dessine son orchestre avec la même élégance, il y combine avec un égal bonheur les effets d’instrumentation ; mais il y déploie aussi une richesse d’idées, une abondance de mélodies auxquelles il ne nous avait pas accoutumés. L’effort s’y fait moins sentir que dans ses autres ouvrages, et lorsque le musicien a recours à la science, ce n’est plus comme but, c’est comme moyen et pour atteindre à des effets larges, pathétiques, inspirés, qui charment ou qui émeuvent. Le poème de M. de Saint-Georges, sans être un chef-d’œuvre d’originalité et de distinction, a le mérite d’être constamment intéressant et de rester toujours dans ce milieu sympathique où le compositeur n’a plus qu’à faire