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ne faut pas dire heureux comme un roi, ni belle comme une reine. Sujets officiels, costumes étriqués des hommes, modes ridicules des femmes, voilà dans quelles conditions s’emprisonnait le talent des peintres de cour. Velasquez eut le bonheur d’avoir pour reine la charmante Isabelle de Bourbon ; mais ajoutons qu’il lui fallut peindre aussi ses nains, ses naines, ses fous et ses chiens.

À leur tour, les moines et les évêques ne donnaient pas moins d’embarras aux artistes patentés du clergé. La dévotion ne date en Espagne que de la fin du XVe siècle. Jusqu’alors on ne voit en ce pays nulle trace de passions religieuses. Sous Isabelle-la-Catholique, la ferveur vint avec les bûchers, et l’on pratiqua fort à la lettre le précepte compelle intrare. De là le caractère sombre et terrible du catholicisme espagnol, caractère qu’il n’a perdu que par le relâchement général des mœurs dans le siècle dernier. Le clergé ne gagnait pas les ames par la douceur. Le feu dans ce monde et dans l’autre, voilà l’argument dont il usait d’ordinaire, et qu’il recommandait aux peintres d’illustrer par leurs ouvrages. L’ignorance, fille du despotisme, ajoutait à la représentation des tournions atroces celle des miracles les plus extravagans et les moins poétiques. C’est ainsi que l’on commandait à Murillo, pour le cloître des franciscains de Séville, ce beau trait d’une légende : Un frère cuisinier, absorbé dans ses oraisons, néglige le pot-au-feu. Heureusement des anges descendent dans la cuisine ; l’un ratisse des carottes, l’autre épluche des oignons. Les bons pères firent un excellent souper. On peut voir dans la galerie du maréchal Soult comment Murillo se tira de ce sujet difficile. En résumé, les peintres des couvens étaient moins à plaindre que les peintres de cour ; la Vierge et les chérubins leur restaient, qui valaient mieux pour l’inspiration que des infantes fardées, en vertugadins.

À ces influences toutes puissantes, s’en joignirent d’autres accessoires qui ne laissèrent pas de modifier encore le caractère de l’école espagnole. Tout art s’appuie sur une base quelconque, et procède d’un art antérieur qu’il imite et qu’il perfectionne ; car, pour trouver l’invention, dans le sens absolu du mot, il faut remonter au premier homme. Les peintres espagnols ont appris les élémens de leur art des Vénitiens et des Flamands. En recevant d’eux le don de la couleur, ils en ont accepté en même temps cette indifférence pour la forme qui, poussée à l’excès, amène bientôt la décadence de la peinture.

La plupart des peintres espagnols ont débuté par des sujets vulgaires, par ce qu’on appellerait aujourd’hui le genre et la nature morte. Velasquez et Murillo groupaient des fruits, des vases, des poissons, tous les objets qui leur offrirent des couleurs vives et harmonieuses, et s’essayaient à en reproduire tous les accidens de lumière. Ils durent peut-être à ces études leur facilité merveilleuse à rendre les accessoires dans de plus importantes compositions. Plus tard l’un et l’autre gagnèrent leur premier argent à dessiner ou à peindre des scènes familières, des intérieurs de cabarets fréquentés par des mendians et des aveugles. La mode alors était d’ailleurs aux sujets picaresques, et les gens de lettres, qui donnent toujours un peu le ton aux artistes, avaient contribué à lancer la peinture dans cette voie basse et triviale. Les plus grands seigneurs, quand ils daignaient prendre la plume, se complaisaient à décrire les mœurs des filous et des mendians. Hurtado de Mendoza, l’élégant imitateur de Salluste, ambassadeur de Philippe II, doit surtout sa réputation à un roman admirable et dégoûtant dont