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avisé de faire faire le portrait de sa femme ou de sa maîtresse. Les dames ne sortaient que voilées, et la plupart des comédies de Calderon et de Lope de Véga sont fondées sur ce point d’honneur qui obligeait un homme à tuer le cavalier qu’il trouvait dans la partie de sa maison habitée par des femmes. Il y a loin de ces mœurs à celles de l’Italie, alors qu’un Farnèse se faisait peindre par le Titien devant sa maîtresse à demi nue, lui-même occupé comme vous pouvez le voir dans la galerie du Louvre. M. Stirling n’explique pas cette prodigieuse différence dans les coutumes de deux pays également bien partagés du soleil et, par la politique, en relations continuelles. Pour moi, je pense que l’Italie ne se familiarisa avec les nudités naturellement proscrites par le christianisme, que grace au nombre prodigieux de statues et de bas-reliefs que l’antiquité lui avait laissés. Aujourd’hui, en pays de nègres, une figure nue, noire s’entend, n’effarouche point la pudeur. En Italie, de chaque tas de décombres sortaient des dieux et des déesses qu’il fallait admirer malgré leur immodestie. Michel-Ange avait son public formé par la fréquentation de l’Olympe antique, lorsqu’il osa montrer, dans son Jugement dernier, tant de saints et de saintes en déshabillé. Rien de semblable en Espagne. Pourquoi dans une province romaine, si riche autrefois, trouve-t-on si peu de débris des arts de Rome ? A qui faut-il attribuer une destruction si complète ? Aux Goths ou bien aux Arabes ? Je l’ignore. Bornons-nous à constater, avec M. Stirling, que les peintres espagnols furent privés, par les mœurs, de la plus puissante ressource de leur art, l’étude des formes humaines nues.

Les statues antiques, en accoutumant les Italiens aux nudités, les avaient mis sur la voie de ce beau idéal dont les Grecs approchèrent de si près. D’un autre côté, le type des têtes italiennes offrait des modèles pour reproduire les chefs-d’œuvre laissés par l’antiquité. A Rome, tous les jours de marché on rencontre dans le Transtevère des Junon et des Minerve portant des poulets maigres et des oignons. En Espagne, les types nationaux s’éloignent davantage de la beauté idéale. Je me hâte de dire qu’après mes lectrices, je ne connais pas de femmes plus remplies de grace et de séduction que les Espagnoles ; mais, chez les plus belles, il y a toujours je ne sais quel air de passion et d’inquiétude qui dérange ce calme sublime sans lequel il n’y a pas de beauté parfaite. Nouvelle difficulté pour les peintres assez heureux pour avoir de belles femmes ou de belles filles, seuls modèles dont, je le répète, ils pussent disposer autrefois.

La peinture reçut des rois espagnols des encouragemens extraordinaires. Pendant une période de plus d’un siècle des princes se succédèrent, tous connaisseurs, gens d’esprit, sachant deviner le talent et le récompenser, non-seulement avec libéralité, mais avec cette grace et cette délicatesse qui charment plus les artistes que les pensions et les cadeaux. Dans le même temps, un clergé riche et prodigue leur ouvrait ses vastes cloîtres à décorer. Des églises magnifiques appelaient à la fois peintres et sculpteurs, et les ordres religieux se disputaient les artistes en réputation, comme jadis ils s’étaient disputé les reliques des saints.

Point de médaille sans revers. Les peintres de cour étaient condamnés à reproduire sans cesse les traits des souverains : ils ne pouvaient faire poser des grisettes ; mais ils avaient pour modèles des reines et des infantes. On sait qu’il