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d’inquiétude, on doit trouver fort saisissante cette peinture de l’aristocratie succombant sous des cotes de bourse ou sous des votes financiers du parlement. C’est qu’en effet, un vote de la chambre des députés, sous l’influence de la parole puissante du duc Gaston de Montévreux, renverse le projet de loi qui concédait un chemin de fer à la compagnie dont son futur beau-frère était membre. Il ne reste plus rien de l’immense dot promise, et, à l’instant où Gaston déclare à sa mère qu’il ne se mariera pas, il apprend d’elle que sa fiancée est sans pain, et qu’il a, seul, causé cette misère.

Certes, l’auteur a posé là un terrible problème ; mais la situation de cet homme, tel qu’il nous est peint, était à la hauteur d’une solution plus grandiose. Oui, tout autre aurait pu, aurait dû même prendre ce parti honorable d’épouser la fille ruinée dont il dédaignait tout à l’heure la fortune. Oui, c’était agir en galant homme, c’était se donner, dans le cercle étendu qui l’entourait, le relief recherché de la délicatesse et du renom. Qu’on me dise cependant si c’était la peine, pour arriver à ce dénoûment habituel de toute aventure semblable, de créer des cœurs si hauts, des aspirations si ferventes, des dévouemens si chastes et si divins. Non, Mildred n’avait pas trouvé l’ame qu’elle croyait voir, aimer et connaître ; non, ces personnages idéalisés ne sont pas dans l’esprit de l’auteur ; ils sont uniquement dans son style, et ils s’évanouissent dès que l’action apparaît. Avec la hardiesse du début, il fallait le courage de la fin. C’était un beau chapitre, et que j’aurais voulu lire, que celui où Gaston, fort de sa conscience et de son amour, plein de mépris pour tout ce qui n’était pas l’un ou l’autre, aurait bravé les censures universelles, et fût allé, loin du monde, vivre pour celle qui était son existence et son ame. Je conviens qu’il y fallait de la verve, et M. Hamilton Murray paraît avoir réservé la sienne pour des scènes d’un intérêt moins élevé. Gaston, d’ailleurs, est bien puni. Mildred Vernon devient veuve au moment même où il marche à l’autel. Je lui sais gré de n’avoir pas empêché le mariage. Un tel homme ne valait pas ce drame, que l’auteur rend presque imminent. Cette pauvre Anglaise, mal à propos enlevée à sa vie d’aiguille, de Bible et de luncheon, pour essayer de la vie du cœur et des dévouemens sublimes, retombe dans le tourisme sec de ses compatriotes, et trouve pour conclusion que « la vertu n’est pas une chose facile. » Vraiment, elle doit se féliciter d’avoir été à même de faire cette découverte-là.

Au travers de ce livre, dont j’ai dit l’esquisse, une figure charmante est jetée en épisode touchant. C’est la marquise de Boislambert ; son histoire, pleine de larmes et de repentir, pourra remuer quelques souvenirs parisiens, et l’on s’étonne que la même plume ait pu tracer ces lignes attendrissantes à côté des descriptions si crues du galop des bals de l’Opéra.

Ce livre, qui excitera la curiosité, est, en effet, taché de mille sortes. L’intérêt du cœur s’y éveille à peine, qu’une rudesse de goût vient le dépiter. Jugez-en par ce passage : « Entre une femme du monde et une femme entretenue, il y a exactement la même différence qu’entre un homme dont vous avez d’avance coté les services et un autre qui en laisse le prix à votre générosité. Dans ces sortes de choses, disait le prince de T…, le prix fixé est ce qui coûte le moins. — Mais les femmes du monde n’ont pas de prix, disait un jour, devant nous, un jeune homme qui prenait leur défense. — Et c’est à cause de cela que je les ai toujours trouvées trop chères, répondit un homme d’esprit que nous ne voulons pas