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Pour les ingénieurs, il est facile de le comprendre, les études littéraires n’ont qu’un but, le développement général de leur intelligence. A coup sûr, la connaissance d’Homère et de Virgile, d’Eschyle et de Sophocle, ne trouve jamais d’application immédiate dans la carrière à laquelle se destinent les élèves de l’École polytechnique, et pourtant, depuis l’époque même de sa fondation, l’École polytechnique possède une chaire de littérature. Croit-on qu’un tel enseignement ne serait pas au moins aussi utile aux élèves de l’École des Beaux-Arts ? Les programmes offerts chaque année aux peintres et aux statuaires de l’École par la quatrième classe de l’Institut sont généralement empreints d’une remarquable sécheresse ; pense-t-on que la connaissance des sources où l’Académie va puiser ces programmes ne serait pas pour les élèves un puissant auxiliaire ? Plutarque nous apprend que Phidias se nourrissait assidûment de la lecture d’Homère, et tout ce qu’il raconte de la Minerve du Parthénon et du Jupiter Olympien n’est, à vrai dire, qu’une page de l’Iliade, dont chaque mot anime l’or et l’ivoire, comme le feu dérobé par Prométhée animait l’argile. Eh bien ! qu’on interroge les élèves qui se présentent aux concours de peinture et de statuaire, qu’on mette leur savoir à l’épreuve, et vous verrez ce qu’ils répondront. Qu’on leur demande la biographie des demi-dieux et des héros qu’ils sont appelés à représenter, et l’on sera justement étonné de la légèreté de leur bagage littéraire. La plupart des élèves ne connaissent Achille, Thésée, Oreste, Ajax, Agamemnon, que par les programmes de l’Académie ; quelques-uns d’entre eux ont employé leurs loisirs à feuilleter le dictionnaire de Chompré. Comptez ceux qui ont lu Homère et Sophocle, et vous serez effrayé en voyant à quel chiffre se réduisent les élèves quelque peu lettrés.

Il n’est pas douteux pour moi que l’absence de culture littéraire n’exerce une influence très fâcheuse sur les études et sur les œuvres des peintres et des statuaires : ou bien ils ne savent absolument rien touchant le sujet qu’ils ont à traiter, et quelquefois c’est pour eux la meilleure des conditions, car, dans ce cas, ils consultent ceux qui savent ; ou bien ils ont dans leur mémoire quelques notions incomplètes et confuses, qui ne servent qu’à les égarer. Une chaire de littérature générale serait donc, pour l’École des Beaux-Arts, d’une utilité incontestable. Cet enseignement devrait être conçu d’après la nature même des études spéciales auxquelles il servirait de complément. Ainsi, par exemple, il ne s’agirait pas de développer chez les élèves le sens critique, mais bien et surtout d’orner, de meubler leur mémoire. Il serait parfaitement superflu de leur montrer en quoi l’héracléide, ou la biographie complète d’Hercule, diffère de l’Iliade, dont tous les épisodes se groupent autour de la colère d’Achille. Toutes ces dissertaions, très bonnes en elles-mêmes, n’apprendraient rien aux élèves de