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remarque dans les autres des qualités que je n’ai pas. » Le cri d’admiration qui l’accueillit à son arrivée ne suffit point pour rassurer ses esprits émus. Il se trouvait quelques critiques parfois justes, souvent rigoristes, qui révisaient à son endroit le jugement du public. Il le sut, mais leur voix semblait aller se perdre dans la glorieuse victoire des Moissonneurs, des Pifferari et de la Mère napolitaine. On ne saurait dire cependant qu’il eût été insensible à ces attaques. Délicat, en effet, comme tous les artistes, au contact de la critique, de même qu’à celui de l’éloge, il s’effrayait de l’un à l’égal de l’autre. On n’aura que trop souvent, dans la suite de ce récit, l’occasion de se convaincre que ce double souvenir ne fut pas étranger à la défiance qu’il montra plus tard de son talent et de sa fortune.

Léopold Robert avait été nommé, en 1825, membre de l’académie de Berlin, et, dans cette ville, il était fort considéré des artistes et des amateurs. Le comte de Raczynski, le comte de Hahn, Mme de Souwaroff et le célèbre sculpteur Rauch lui avaient commandé des tableaux. C’était surtout des commandes faites par les artistes qu’il était le plus flatté. Tandis qu’il recueillait tant de marques d’estime de la plupart des connaisseurs de Berlin, tandis qu’il recevait un accueil si flatteur de ceux de Paris, et que même un hetman de Cosaques, le prince Laboukime, lui achetait un tableau, le dénigrement ne lui manquait pas ailleurs. Un esprit jaloux, le Romain Vincent Camuccini, cherchait à rabaisser son talent. L’Italie, qui, à notre époque, se soutient très haut quant à la sculpture, est, dans la peinture, tombée au dernier point de faiblesse et d’impuissance, en dépit de la leçon vivante de tous les chefs-d’œuvre de ses anciennes écoles. Camuccini et le chevalier Agricola, tristes successeurs des Carle Maratte, des Pompée Battoni, des André Appiani, ces peintres de la décadence, en étaient une preuve flagrante. On avait vu à Paris le vieux Le Thière pleurer d’admiration devant les Moissonneurs. On avait vu Gérard, qui avait tendu la main à Léopold dans ses premiers débuts, lui commander aussi des tableaux, de 1824 à 1826, pour le soutenir en des momens difficiles. Chose plus rare encore pour l’un des doyens de l’art, dont l’histoire tient toujours un peu de la mythologie de Saturne, on avait vu Gérard encourager le nouveau venu de ses conseils, le prôner comme son enfant, jouir de son succès comme d’un succès propre. Incapable de tels sentimens, le Romain Camuccini à l’amertume de critiques légitimes ajoutait des critiques injustes. Dépourvu de naturel et de vérité, cet homme était un artisan d’adresse et d’industrie, un arrangeur habile plutôt qu’un véritable artiste. Trop faible pour dérober leurs secrets aux maîtres et demeurer original tout en se portant leur imitateur, il est resté faux et conventionnel dans sa composition, dans ses lignes, dans sa couleur, et n’a que trop justifié ce jugement prononcé sur lui par notre Pierre Guérin : « Il s’est nourri des anciens