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sérieux. Grace au climat, aux opinions, aux mœurs de la Grèce, l’art antique a pu tout à son aise interroger sans voile la beauté vivante et la reproduire. Pour nous, dont les idées sur ce point délicat sont plus sévères, le problème sera moins aisé à résoudre ; mais, sans se préoccuper d’une morale étroite et prude qui, dans son zèle aveugle, briserait toutes les statues de nos musées, le véritable artiste saura satisfaire à toutes les conditions de l’art et respecter en même temps les saints préjugés de la modestie. Raphaël et Michel-Ange, Titien et Rubens, Poussin et le religieux Le Sueur, en ont, comme tant d’autres gardiens des grandes doctrines, multiplié les preuves.


X

Depuis 1816, Léopold Robert n’avait pas revu la France. Il fit, durant l’exposition des Moissonneurs au salon du Louvre, en 1831, un voyage à Paris avec son frère Aurèle, et tomba au milieu de l’orage soulevé contre l’école qui avait été son berceau, et pour laquelle il conservait un vieux respect. Les deux écoles se pressèrent à l’envi autour de lui. Fiers de son origine, les classiques le revendiquèrent ; et de fait ils partaient du même principe, ils tendaient vers le même but, le beau ; mais combien ils différaient sur les moyens et dans les résultats ! Sans aller, comme les classiques, par des chemins détournés, Robert attaque franchement la question. Au lieu de faire le pastiche des statuaires anciens ; au lieu, pour ainsi parler, de sculpter en peinture, il regarde la nature même, la copie d’original à son tour, et parvient ainsi à s’approprier au plus haut point cette noblesse et ce haut style que les Girodet et les Guérin n’avaient fait que rêver. D’un autre côté, le tact naturel de Léopold l’avait mis de bonne heure en garde contre toute exagération. S’il ne prenait point les livrées de son ancienne école dégénérée, il n’avait pas moins de répugnance pour la fureur d’outrer la nature, et se méfiait des avances de réformateurs qui ne voyaient en lui que le triomphe de l’imitation sur la création. Aussi, dès qu’il reprit les pinceaux, retourna-t-il tout droit à sa peinture, telle qu’il l’avait conçue jusqu’alors, et aucune des deux écoles ne vint à bout de le confisquer à son profit.

Étourdi de tout le bruit de la rue, des ateliers et du Salon, Robert, facile comme il l’était à effaroucher, ne comprit rien au mouvement des idées d’alors, et, dès qu’il eut touché le sol de Paris, il fut pris d’un vif désir de se dérober. Déjà, avant de venir, il exprimait des craintes à M. Marcotte (Florence, 15 mai 1831) : « Je ne puis me cacher que la vue de tant d’intrigues et de clameurs me fera mal, à moi qui aime tant la tranquillité. Ces immenses réunions de tableaux me tuent, parce que je pense toujours que les miens y sont faibles, ou plutôt je