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de la découverte du modèle de la Jeune Femme, qui eut tant de succès au salon de 1831 ; et comme si ce bonheur d’artiste eût jeté un charme particulier sur une existence si souvent déchirée, on jouit du calme où reposait son ame quand il traçait ces mots :


« Frascati, 15 septembre 1830.

« … Je suis dans un calme de passion qui me charme : je philosophe tout seul, bien doucement, en contemplant notre belle plaine de Rome, l’horizon et le ciel, et je respire avec un véritable ravissement l’excellent air que nous avons ici. J’ai commencé une tête de grandeur naturelle, d’après la plus jolie créature que j’aie vue. Je suis sûr qu’elle vous plairait, mais beaucoup. Elle a seize ans, plus grande que Maria Grazia, admirablement faite ; une tête d’une pureté remarquable, mais surtout d’une expression délicieuse ; enfin, c’est une figure qui ferait partout le plus grand effet, même à côté des plus belles voisines !… »

Il est remarquable qu’avec un sentiment si vif des beautés les plus délicates de la création, Léopold ait à peine tenté de peindre le nu. Une curieuse lettre qu’il adressa, le 12 septembre 1827, à M. d’Argenteuil, montre jusqu’où, sur cette question, pouvaient aller ses scrupules de protestant spiritualiste : « Des deux sujets que j’ai traités pour messieurs vos frères, quelques personnes ont trouvé dans celui qui est destiné à M. Marcotte aîné un peu de liberté. Ce n’a été nullement mon intention. Cependant, pour ne pas faire toujours des figures vêtues de la tête aux pieds, j’ai peint deux jeunes filles qui se déshabillent pour se baigner. Je les ai supposées dans un endroit entièrement retiré, où elles ne doivent craindre aucun regard curieux. Si monsieur votre frère se trouvait avoir cette opinion en voyant le tableau, je m’engage volontiers d’avance à lui en faire un autre. Le second tableau est un sujet plus sérieux. J’ai supposé un vieil ermite mort tranquillement au pied de son ermitage, et qui est trouvé par un pecararo. J’ai représenté ce dernier lui soulevant le capuchon et cherchant à voir si c’est le repos éternel. Je suis extrêmement impatient d’apprendre le jugement que vous porterez de ces tableaux. »

Les scrupules de Léopold étaient exagérés. Le tableau des Baigneuses de San-Donato était d’une décence parfaite. Si d’autres artistes, plus soucieux de produire des sensations que de s’adresser à l’intelligence, ont donné l’occasion de dire que le cynisme, impitoyablement chassé de la langue, a trouvé un asile dans la peinture ; s’ils ont oublié trop souvent qu’il est une faute de goût quand il ne serait pas une injure aux bienséances, il faut, d’une autre part, dans la nue imitation de la nature humaine, savoir distinguer entre la nudité et le nu. Tandis que la nudité est la honte des écoles de décadence, le nu aura toujours sa décence, le nu sera toujours une des plus belles ressources de l’art