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poètes reposent là côte à côte : John Keats, mort à vingt-trois ans, et Perey Bisshe Shelley, mort à vingt-cinq ans ; deux protestans qui ont abjuré même le Christ ; le panthéiste auprès du païen, dans le cimetière calviniste.

Pauvres jeunes gens ! pauvres poètes ! L’un, surpris par une tempête qu’il a bravée, est jeté à la côte, et lord Byron brûle son cadavre ; l’autre meurt poitrinaire dans un misérable hôtel garni de Rome, sans avoir de quoi payer son gîte et son linceul. Enfans de génie, au moins les égaux de lord Byron par la nature si ce n’est par la culture de leur talent, ni mère, ni sœur, ni famille n’ont fermé leurs yeux mourans ; Dieu seul sait s’ils ont espéré une vie après la mort, et les hommes leur ont disputé la renommée !

Ces faits sont plus étranges et plus touchans que les inventions du rhéteur, et certes il faudrait ne mêler rien d’artificiel ou de factice aux pathétiques enseignemens que cette histoire renferme. La destinée de Keats et de Shelley n’a rien de fortuit. Nés tous deux à la fin du XVIIIe siècle, exilés de la même cause, chassés par le puritanisme vainqueur, ils appartenaient à ce petit groupe curieux dont nous allons parler tout à l’heure avec quelque détail, dont Byron eut l’esprit de se faire le chef, et dont il fut l’expression la plus égoïste, mais non la plus profonde, l’organe le plus actif et le plus bruyant, mais non le plus sincère ; groupe d’esprits libres et ardens qu’irritaient les liens conventionnels de la société calviniste, et que rejeta violemment dans le culte païen de la forme ou dans l’océan du scepticisme le ridicule souvent odieux des affectations contraires.

En 1815, le triomphe de l’Angleterre n’était pas seulement celui de l’aristocratie armée contre Napoléon, mais la victoire des idées puritaines et populaires, soulevées au nord depuis la réforme contre l’autorité monarchique et le catholicisme méridional ; ces idées et ces doctrines étaient vieilles : elles avaient bravé Louis XIV et attristé ses derniers jours. L’habileté des hommes politiques dirigés par Pitt consista donc à confondre ce sentiment religieux, très vivant alors, mais qui s’éteint aujourd’hui, avec la défense des institutions aristocratiques anglaises et de la monarchie pondérée. Cette alliance des passions de la masse et des intérêts de ses maîtres, du calvinisme fanatique et de l’aristocratie anglicane, produisit un état de mœurs nouveau, état puissant et sévère, triste et inexorable, fécond pour la grandeur et la richesse publique, et que je ne veux pas condamner ici ; l’Angleterre lui doit à la fois ses conquêtes matérielles et une notable partie de son influence morale. C’était alors que la quakeresse mistriss Fry partait pour son noble pèlerinage à travers les cachots et les misères de l’Europe, que Wilberforce usait son éloquence et sa vie au service des noirs, et que les inexorables bourgeois, héritiers des cromwellistes de 1650, envoyaient