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n’en peuvent employer : veux-tu travailler pour moi ? et je te nourrirai. Je te donnerai ce qui te manque, la matière et l’instrument du travail.

Tel est, dans sa simplicité pure, le contrat passé entre le riche et le pauvre, entre ce qu’on appelle le capitaliste et l’ouvrier : tel il reste à travers les complications d’une société avancée. Sous quelque forme qu’il se dissimule, qu’il passe par un ou plusieurs intermédiaires, que la terre et les instrumens de travail, au lieu d’être confondus dans les mêmes mains, se trouvent dans des mains différentes, qu’au lieu de vouloir jouir immédiatement, le riche cherche à gagner, c’est-à-dire à épargner, pour jouir un peu plus tard ; que le travail du pauvre, au lieu d’être appliqué directement à cultiver les produits de la terre, comme dans l’agriculture, soit employé à les façonner, comme dans l’industrie, il n’importe : le fond du contrat reste le même ; c’est toujours le riche fournissant au pauvre les moyens et les instrumens de travail. Or, à bien prendre, qu’est-ce que le riche ? C’est l’homme qui a hérité quelque chose de ses pères, et, fort de cet héritage, a pu le développer par son travail. Le pauvre, c’est l’homme naturel resté dans sa misère primitive, pour lequel l’hérédité n’a rien fait ; le capital du riche vient lui tenir lieu, imparfaitement sans doute, mais à quelque degré cependant, de la succession de son père, qui lui a manqué. Il lui fournit les moyens d’employer la force dont Dieu l’a doué, et qui, livrée à elle-même, resterait impuissante et stérile. Ainsi, le superflu que l’hérédité a donné d’un côté sert à combler le vide qu’elle a laissé de l’autre, et, ce vide une fois comblé, rien n’empêche le dernier venu de rejoindre ceux qui le précèdent. Une fois que l’homme peut travailler, toutes ses facultés peuvent ouvrir leurs voiles. Si le pauvre est intelligent, laborieux, actif, s’il est en un mot ce qu’ont été les aïeux du riche, la carrière est ouverte, elle lui est ouverte par le riche lui-même ; rien ne l’empêche d’y courir dans la mesure de son activité et de son mérite, et il le fait, et il s’élève, et nous en avons chaque jour le spectacle. Par un mécanisme aussi simple qu’admirable, par le seul jeu des intérêts, le riche est constitué forcément comme dans une sorte de responsabilité, de paternité, pour ainsi dire, vis-à-vis du pauvre ; c’est lui qui est chargé de pourvoir à sa subsistance et de lui ouvrir les voies du travail. Que dis-je, chargé ? ce n’est pas assez, il y est obligé ; son propre intérêt l’y contraint, car, encore une fois, à quoi lui servirait l’abondance, s’il lui fallait continuer à gagner son pain à la sueur de son front ? S’il veut jouir de sa richesse ou seulement la conserver, il faut qu’il appelle le pauvre à la partager ; il faut qu’il s’entoure d’ouvriers qui laboureront son champ pour lui, qui lui tisseront des vêtemens fins, lui dresseront un lit moelleux, mais, en revanche, se partageront les fruits de sa terre. Seul, l’homme qui possède serait aussi misérable que celui qui ne possède pas. Le riche n’a pas de mérite, dira-t-on. — Eh !