tant de formes provoquantes, et qui, répétée de bouche en bouche, va, réveiller les échos des barricades. M. Thiers la pose hardiment, et, rappelant cette comparaison frappante de Cicéron : « Le monde est un théâtre où tous les sièges sont retenus d’avance ; » aimeriez-vous mieux, dit-il, que ce théâtre n’existât pas ?
C’est bien là, en effet, la véritable question. Ce théâtre où vous demandez une place, je ne sais pas si c’est la propriété héréditaire qui le ferme ; mais je sais bien que c’est la propriété héréditaire qui l’a élevé. Sans elle, il n’existerait pas ; sans elle, il n’y aurait qu’une terre aride et des êtres sauvages, dévorant quelques herbes malsaines, errant quelques jours avant de mourir sur sa surface désolée. Vous vous plaignez qu’en venant au monde, des malheureux se trouvent à la fois dans la nécessité et dans l’impossibilité de travailler pour vivre ! Dure nécessité sans doute, si elle était vraie. Supposons pourtant qu’elle le soit ; quelle serait alors leur condition ? Tout simplement celle de l’homme naturel avant la propriété héréditaire. Vouloir travailler et ne savoir comment s’y prendre, c’est précisément cette primitive et malheureuse condition que nous décrivions tout à l’heure, et où tous les hommes indistinctement seraient placés, si, après Dieu, la propriété héréditaire n’était venue les en tirer. Beau remède, en vérité, que de supprimer cette propriété ! Les instrumens de travail, dites-vous, sont concentrés en un petit nombre de mains ; les provisions nécessaires pour nourrir tant de travailleurs, en attendant qu’ils aient pu travailler, le sont également. Vous appelez cela la tyrannie du capital ; mais ces instrumens et ces provisions, ce capital en un mot, pensez-vous qu’il se soit fait tout seul ? C’est le travail qui l’a produit, c’est l’hérédité qui l’accumule. Sans la propriété héréditaire, il n’eût jamais existé. D’autres n’en auraient pas joui, il est vrai ; mais vous n’en jouiriez pas davantage. Le sol est occupé, ajoutez-vous : encore une fois, voulez-vous que nous fassions l’épreuve de vous laisser seuls et nus devant la sol inculte ?
Cette réponse serait concluante, n’y en eût-il pas d’autre à faire ; elle est décisive, car, s’il est vrai (et après ce que nous avons dit, il est difficile d’en douter) que la propriété et l’hérédité ont été les deux conditions de la vie pour l’homme, les deux seules qui aient pu le tirer de son dénûment, quand bien même tout le monde n’en profiterait pas, encore vaudrait-il mieux que quelqu’un vécût que personne. Mais, Dieu merci, les bienfaits de la propriété héréditaire ne sont pas si restreints ; ils ne sont pas limités à un petit nombre. Si quelques-uns seulement en jouissent dans toute leur plénitude, tous en profitent plus ou moins. C’est ce qui nous reste à faire voir avec M. Thiers. La destinée humaine est bien assez dure comme elle est, n’exagérons pas sa misère.
Il est parfaitement vrai, je l’avoue, que la propriété, déjà inégale à son origine, par suite (nous l’avons vu) de l’inégalité des facultés naturelles,