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Quelle pouvait être la place de l’humble et timide Robert dans une pareille mêlée ? De son belvédère lointain, il n’apercevait même point la lutte, et, confiné dans sa foi silencieuse, il continuait de conclure à sa façon et de faire son chemin tout seul.

On était donc en pleine fièvre romantique quand s’ouvrit le Salon de 1831, où parurent les Moissonneurs, et, avec ce tableau, une Mère napolitaine pleurant sur les débris de son habitation ruinée par un tremblement de terre, l’Enterrement d’un aîné de famille de paysans romains, et les Pifferari devant une Madone, trois peintures qui sont au nombre des meilleurs ouvrages de Robert. Rien de plus simple que le sujet des Pifferari. Ce sont de ces joueurs de cornemuse et de chalumeau, mendians couverts de peaux de mouton, qui descendent des Abruzzes et des Calabres avec leurs familles, à l’époque de l’Avent, pour donner à Rome des sérénades aux Madones dont tous les coins de rue sont décorés. Hors ce temps, on leur ferme la ville, à moins qu’ils ne soient engagés comme modèles. Dès quatre heures du matin, ces gens-là inondent les rues de Rome, et jouissent de l’odieux privilège de l’éveiller en sursaut au bruit du fausset criard et mélancolique de leurs instrumens. Chaque quartier les paie par neuvaine. L’Italien de Rome est fort dévot à la Vierge, et lui demande tout, même des choses qui la feraient rougir. La femme innamorata, l’homme qui ne dort pas, le dévot qui veut se mettre en paix avec sa conscience, son voisin ou son curé, s’abonnent pour une ou deux neuvaines. Robert a tiré un excellent parti de son sujet. Deux de ces pauvres paysans s’arrêtent devant une Madone ; l’un enfle sa cornemuse tandis que l’autre vient de souffler dans un chalumeau. Les derniers sons qu’il en a tirés expirent dans les airs ; alors il chante, et, l’œil pieusement tourné vers l’image de la Vierge, il semble attendre qu’un sourire d’indulgence et de faveur s’imprime sur les lèvres de la Mère de Dieu. A leurs pieds sont deux petites filles dont le recueillement fait ressortir l’ardeur musicale, l’air de foi vive et profonde des musiciens campagnards églogue charmante qui respire un parfum de naïveté, de vérité locale, et laisse dans l’ame une douce et pénétrante émotion. Quand l’illustre peintre anglais sir David Wilkie passa l’hiver de 1825-1826 à Rome, il peignit, de sa seconde manière, deux petits tableaux dans le genre de Léopold : la Princesse Doria-Pamfibi lavant les pieds à de