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reçoit. De ce rapprochement l’homme se retire plus riche et la nature plus puissante. Un rayon de l’esprit vient animer la matière ; la matière, en retour, vient soutenir l’être intelligent. Mais de cette description même de l’origine de la propriété ses conditions nécessaires découlent naturellement.

Ces facultés, en effet, seul bien que l’homme apporte en naissant, et qui lui servent en quelque sorte à établir son droit sur les biens de la nature, sont-elles possédées par tous les hommes en commun, ou par chaque homme en particulier ? Cette intelligence qui féconde la matière, cette volonté qui conduit l’intelligence, sont-ce des biens qui se partagent entre tous les hommes, un fonds commun où tout homme puise indifféremment ? ou bien est-ce un lot que chaque individu a reçu pour son compte, et dont il dispose sous sa responsabilité ? La propriété primitive de l’homme, celle qu’il exerce sur lui-même, est-elle commune ou individuelle ? On rougit de poser une telle question. Mon esprit est-il à moi ou à mon voisin ? Mes idées, sont-ce les miennes ou celles du genre humain ? Sophistes du jour, qui tenez tant à penser ce que personne n’a pensé avec vous, ces beaux systèmes dont la singularité fait le mérite sont-ils à vous ou à tout le monde ? Ils sont à vous, Dieu merci, gardez-en la propriété. Mais le moindre laboureur sur son sillon a aussi sa propriété, dont le partage ne peut pas même se concevoir. Ce sont ses bras nerveux, sa volonté patiente et l’attention perspicace qui la dirige. Ses facultés sont bien à lui, à lui seul ; il ne peut, quoi qu’il fasse, les communiquer à un autre. L’effort que l’homme fait pour se mettre au travail est ce qu’il y a au monde de plus personnel. La volonté est le sanctuaire de la personne humaine. C’est là qu’elle réside une par essence, inviolable, inaccessible, incommunicable, subissant plutôt la mort que le partage. Que si, par conséquent, ces facultés que l’homme apporte comme sa mise de fonds dans son association avec la nature sont des propriétés individuelles, appartenant non point à l’humanité en général, mais à chaque homme en particulier, ces biens qui lui sont donnés en échange, ce droit d’user et de jouir des forces de la nature, cette terre, pour tout résumer en un mot, tout cela suit naturellement la même condition. Le travail est personnel, la propriété acquise par le travail est personnelle comme lui. Individuel est le prix que l’homme paie, individuelle doit être aussi la compensation qui lui est donnée en retour. En un mot, la volonté de l’homme appliquée à la nature par le travail est la source unique de toute propriété. Ou portez la communauté dans la volonté même de l’homme, ou souffrez la division dans les produits de cette volonté. Si vous voulez une propriété commune, commencez par donner aussi une ame commune au genre humain.

Naturellement individuelle, la propriété que l’homme acquiert sur