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puisque c’est au maréchal de Noailles, son trisaïeul, que sont dus les précieux documens publiés depuis par Grouvelle sous le titre d’Œuvres de Louis XIV, et à la suite desquels on aurait pu ne pas imprimer les vers du roi sur la présidente Tambonneau, vers qui confirment le jugement de Boileau sur le talent poétique de Louis XIV : « Votre majesté fait tout ce qu’elle veut ; elle a voulu faire des vers détestables, et elle y a parfaitement réussi. »

Les preuves matérielles si judicieusement rassemblées par M. de Noailles ne peuvent laisser aucun doute sur l’authenticité des Mémoires de Louis XIV. Avant que ces preuves eussent été données, j’avais eu occasion, dans mes cours, de me prononcer en faveur de la thèse qu’il vient de prouver. Les écrits de certains hommes portent une marque que nul ne saurait contrefaire. Ainsi je n’ai jamais douté, quoi qu’on en ait pu dire, que les mémoires attribués au cardinal de Richelieu ne lui appartinssent bien réellement, au moins en partie, car, dans ces mémoires, écrits d’un style prolixe par un personnage qui s’obstinait à vouloir être homme de lettres, tandis que la nature l’avait fait homme d’action, on trouve çà et là des traits qui révèlent Richelieu : quand, par exemple, la mort de Wallenstein, son ennemi, lui arrache des expressions pleines d’une sympathie évidente pour ce grand serviteur abandonné par le maître dont il a fait la puissance ; quand son dépit lui inspire des allusions si claires à la faiblesse du roi, qui, s’il pouvait, ne demanderait conseil à aucun ; quand enfin, à propos de Battori, victime de l’Autriche, il prononce cette maxime, qu’il devait pratiquer jusqu’au bout : « exemple mémorable qu’il n’y a point d’issue de l’autorité souveraine que le précipice, et qu’on ne la doit déposer qu’avec la vie, » cette dernière phrase est une signature. Il en est de même des Mémoires de Louis XIV ; lui seul a pu écrire les lignes suivantes sur la propriété :

Tout ce qui se trouve dans nos états, de quelque nature qu’il soit, nous appartient au même titre et doit nous être également cher. Les deniers qui sont dans notre cassette, ceux qui demeurent entre les mains de nos trésoriers et ceux que nous laissons dans le commerce de nos peuples doivent être également ménagés.

Louis XIV avait dit un jour : « L’état, c’est moi ! » Lui aussi regardait donc l’état comme seul propriétaire : c’est du communisme royal s’il en fut. Que ceux qui veulent confisquer au profit de l’état la propriété individuelle ne regardent pas dans l’avenir de liberté qui attend le monde ; qu’ils se retournent vers les âges de servitude. Les rêves orgueilleux du despotisme ont devancé leurs doctrines, et, s’ils cherchent aujourd’hui des pays où prévalent ces doctrines, qu’ils les demandent à l’Orient, cette terre du passé et de la servitude ; qu’ils détournent les yeux des contrées civilisées et, prospères, de l’Angleterre, des États-Unis, et qu’ils aillent contempler la réalisation de leur utopie dans cette misère