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lence avait au moins le mérite de l’originalité. On ne saurait guère faire honneur à la révolution des inquiétudes sur la propriété qui ont provoqué la ferme logique de M. Cousin, le bon sens si lumineux, si spirituel de M. Thiers. Quand l’art a voulu faire le portrait de la république, il n’a produit que des caricatures et des monstres. On trouvera peut-être bien frivoles ces regrets d’un homme qui se préoccupe en ce moment de statues et de vers, et qui, au milieu du bouleversement de l’Europe, songe à la littérature. C’est qu’il croit que la littérature bien comprise est en définitive ce à quoi tout aboutit, que la littérature manifeste tout ce qui est, reproduit tout ce qui vit, conserve tout ce qui doit durer ; l’oserai-je dire ? cette considération me paraît plus sérieuse que bien des utopies sociales et même que plus d’un amendement à la constitution, et, comme je pense que tout ce qui est véritablement grand et fort dans l’histoire trouve son expression dans l’art, j’estime qu’un chef-d’œuvre qui naîtrait demain ne serait pas un fait sans importance ni une médiocre garantie de notre avenir.

À défaut d’ouvrages suscités par l’état de choses actuel, nous n’avons vu paraître jusqu’ici que des écrits que l’ordre ancien avait inspirés. M. Sainte-Beuve, en qui la France vient de perdre, pour peu de temps je l’espère, un de ses esprits les plus exquis et de ses caractères les plus purs, a publié le troisième volume de son attachante Histoire de Port-Royal. Les pieux solitaires, qui étaient bien aussi un peu guerroyans et s’insurgeaient parfois à leur manière, ont fait leur plus récente apparition presque au bruit de la canonnade de juin. La veille du 15 mai avait paru, à ses risques et périls, un charmant volume de voyages et de causeries, les Souvenirs d’Italie de M. d’Estourmel, ce fils des croisés, qui est aussi un petit-cousin de Voltaire. Ces ouvrages, publiés hier, semblent avoir été écrits il y a un siècle ; ils n’en ont pas moins de charme pour le lecteur et offrent même un intérêt de plus, l’intérêt historique qui s’attache aux produits du passé. Ce passé est une époque séparée de nous seulement par une distance de quelques mois ; il faudra bientôt l’étudier si on veut la comprendre, à moins que ce ne soit la nôtre qui devienne inintelligible pour l’avenir, ce qui pourrait bien arriver.

Voici un ouvrage qui, plus qu’aucun autre, est en opposition avec le milieu social au sein duquel il se produit, et dont une femme très spirituelle a dit que cette opposition même donnait à un écrit si grave tout le piquant d’un pamphlet. Ce pamphlet non prémédité se compose de deux magnifiques volumes, en attendant le troisième, intitulés Histoire de Mme de Maintenon et des principaux événemens du règne de Louis XIV, par M. le duc de Noailles. La république me permettra d’écrire au moins une fois le titre aristocratique à côté du nom illustre, car ce titre et ce nom font partie, pour ainsi dire, du caractère de l’ou-