Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on craint avec raison le panslavisme russe, et l’on commence à s’apercevoir que, le jour où l’Autriche deviendrait puissance slave, le monde slave serait divisé en deux parts et le panslavisme paralysé. Enfin, malgré l’exagération de certains emportemens de patriotisme et de certaines idées de teutonisme conquérant, destinées à s’évanouir avec le progrès de la liberté et de la centralisation au-delà du Rhin, les Allemands sont conduits à se dépouiller de leurs prétentions ambitieuses sur la Pologne, la Bohême et l’Illyrie. Bien que, depuis leurs derniers efforts pour constituer l’unité germanique, ils aient fait de regrettables manifestations contre le Danemark dans le Schleswig, contre les Italiens en Lombardie, contre la Pologne à Posen, contre le slavisme à Vienne, ils ont trop de philosophie pour vouloir toujours monopoliser à leur seul profit l’idée de nationalité. La patrie de l’Allemand autrichien lui échappe, elle se dérobe sous ses pieds ; mais sa destinée n’est point d’avoir le visage tourné vers l’Orient, et, s’il ne lui plaît pas de jouer un rôle secondaire dans une fédération slave, il a une autre patrie plus attrayante sur le sol germanique, dans la confédération des peuples allemands. Les Allemands de l’Autriche, ne pouvant plus maintenir leur ascendant sur les Slaves, ne se donneront donc pas devant l’Europe le tort de les combattre. L’égalité des nationalités sera, bon gré, mal gré, reconnue chez eux.

Voici maintenant comment les Slaves prétendent appliquer leur principe à l’Autriche. L’empire serait divisé en autant d’états qu’il y a de races distinctes, et chacun de ces états serait représenté dans une diète commune. L’archiduché d’Autriche, avec le Tyrol, le Salzbourg et la Styrie septentrionale, formerait une province allemande ; la Magyarie s’étendrait entre la Drave et le pied des Carpathes, de Presbourg à la Theiss ; la Transylvanie et la Hongrie orientale constitueraient un territoire roumain. Si le sort fatal voulait que l’affranchissement de l’Italie fût retardé, la Lombardie aurait aussi sa place dans cet ensemble. L’Illyrie comprendrait la Styrie méridionale, la Carinthie, la Carriole, l’Istrie, la Dalmatie, l’Esclavonie et la Croatie ; la Bohême s’adjoindrait la Moravie et la portion occidentale de la Hongrie du nord. Enfin, les élémens polonais de la Silésie et de Cracovie se coordonneraient autour de la Gallicie. Dans la diète générale, chacun de ces états serait représenté proportionnellement à sa population, ce qui assurerait la majorité à la cordiale entente des trois peuples slaves ; mais en même temps chaque état aurait aussi une diète provinciale, qui lui garantirait son autonomie et son individualité comme nation. Telle est, disent les slavistes, la seule solution possible du problème des races, et c’est la conséquence inévitable de la lutte aujourd’hui engagée ; l’Autriche en est réduite à subir cette nécessité d’une transformation, si elle ne préfère périr par l’effet d’une dissolution immédiate.