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dans les deux capitales se présente à la rencontre des Croates ou prépare la résistance sur le Danube.

Si facile et si rapide qu’eût été la marche de Jellachich, il ne pouvait, sans avoir rassemblé toutes ses forces, se lancer dans une entreprise aussi grave que le siège de Bude, bâti sur un rocher et défendu par une population au désespoir. Il eût d’ailleurs préféré attaquer Pesth, ville ouverte, située en rase campagne et foyer réel du magyarisme ; mais, pour prendre Pesth en face de Bude, il fallait franchir le Danube. Ces considérations de stratégie et de politique décidèrent Jellachich à rester un instant dans l’expectative. Il attendait des renforts de deux côtés, de l’ouest et du sud-est. Dans la région du sud-est, à la pointe orientale de l’Esclavonie et dans la portion limitrophe du banat de Temesvar, les populations illyriennes s’étaient organisées d’elles-mêmes en partisans ; elles avaient déjà eu, non sans succès, de nombreux engagemens avec les troupes magyares. Ces terribles volontaires, plus rapprochés de la vie primitive que les Croates voisins de l’Italie et de l’Allemagne, marchaient au combat sous les ordres de l’évêque et patriarche grec de Carlowitz, le vénérable et belliqueux Raiachich. La bouillante ardeur du patriarche avait d’abord souffert des calculs et des combinaisons politiques du ban de Croatie ; mais Jellachich, après avoir épanché ses sentimens dans le cœur de l’impétueux évêque, avait gagné sa confiance, et les opérations militaires des deux chefs marchaient de concert.

Toutefois le principal appui que Jellachich espérait, exigeait, c’était celui de l’empereur, qui, au risque de blesser le radicalisme allemand et de soulever dans Vienne des passions redoutables, était contraint de donner raison aux Croates et d’agréer les plans de leur général. Dans l’attente de ce concours et conformément aux nécessités de cette tactique, Jellachich, avant d’attaquer les deux capitales magyares, dut faire un mouvement du côté de l’ouest, afin d’opérer sa jonction avec les troupes envoyées de Vienne, et de retomber ensuite sur Buda-Pesth. C’est pourquoi, au lieu de marcher directement au nord sur Bude, il se porta vers l’ouest sur Raab et Commorn, d’où il dominait le Danube et la route de Vienne à Bude.

Le magyarisme était alors dans la surexcitation du désespoir ; Kossuth prêchait dans son langage, souvent hyperbolique et quelquefois émouvant, une croisade d’extermination. Les paysans magyars, saisissables par le patriotisme et l’enthousiasme, se soulevaient pour anéantir les Croates et pendre le brigand Jellachich, l’instrument impudique de la camarilla, le lieutenant stipendié de Nicolas. Lorsqu’on le vit se replier sur Raab, on fit croire aux paysans qu’ils l’avaient mis en pleine déroute, que les chemins de la Croatie lui étaient coupés, et que, fugitif, il n’aspirait qu’à cacher sa honte loin de son pays. Pendant que les agitateurs