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influence si forte sur les affaires autrichiennes, et allait être prochainement appelée à décider du sort de l’empire même.

Jusqu’alors, l’illyrisme s’était débattu et développé pacifiquement par la presse, les écoles et les assemblées publiques ; il avait marché à l’aide de la parole et de la plume et s’était répandu parmi toutes les populations slaves de l’Autriche et de la Hongrie méridionales. Il avait même franchi la frontière turque et gagné le cœur des belliqueuses populations illyriennes qui habitent entre Raguse et Constantinople, les Monténégrins, les Bosniaques, les Serbes et les Bulgares. Une même langue, un même sang, les mêmes malheurs et les mêmes aspirations vers une vie inconnue, vers la réalisation de cette pensée de nationalité, nouvelle dans le monde, avaient sympathiquement réuni les Illyriens de la Turquie aux Illyriens de la Hongrie et de l’Autriche, et les sentimens de toutes ces tribus, depuis les Alpes tyroliennes et depuis le Bosphore, avaient en un instant convergé vers ce petit coin de terre, cette obscure ville d’Agram où fermentait comme un levain généreux l’idée illyrienne. Cependant tout ce travail n’avait encore été en quelque sorte que parlementaire et politique ; les hommes d’épée n’avaient point encore paru sur la scène, mais leur temps approchait ; on en avait le pressentiment sur tous les points du sol illyrien, dans le sein duquel il semblait qu’une explosion se préparât.

Il n’est point de pays qui soit plus propre à produire et à improviser des chefs intrépides que le pays illyrien. Partout l’existence y est d’une simplicité et d’une âpreté à la fois viriles et poétiques. La nature y produit spontanément des caractères énergiques et primesautiers, qui n’ont pas toujours l’élégance ni la politesse des mœurs, mais qui possèdent une gravité innée, une dignité originale, des hommes qui ne savent pas toujours lire, mais qui pourtant savent souvent parler avec éloquence. Tels ont été tout récemment, en Serbie, George-le-Noir, le fondateur de l’indépendance des Serbes, après lui Milosch et après celui-ci Voutchich, le ministre de la guerre du fils de George-le-Noir, et cent autres. En temps de paix, ou du moins au milieu du calme des idées, ces fortes natures restent stériles et ignorées dans les humbles emplois de la vie agricole et pastorale ; mais qu’une pensée patriotique, qu’un souffle d’en haut vienne agiter leurs forêts, alors cette force inconnue les émeut intérieurement, elle les arrache à leurs troupeaux, elle les entraîne, elle les précipite dans les événemens. Comme ce vieux poète aveugle du temps de George-le-Noir, ils vont tête baissée ; il suffit qu’on les tourne du côté où le canon gronde, les voilà, qui s’élancent, et, s’ils ne restent pas sur le champ de bataille couchés parmi les.morts, ils en reviendront en héros que la poésie populaire se hâtera d’immortaliser.

Parmi les diverses tribus de la race illyrienne, c’est la tribu démocratique