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des Roumains, l’orgueil oriental des Magyars et des Turcs, le matérialisme des Autrichiens, le byzantinisme des Russes doublé de tartare, l’on aura le secret de l’obscurité qui entoure l’histoire contemporaine de l’Europe orientale. C’est le chaos dans l’enfantement. Il est juste de dire, toutefois, que la lumière se dégage peu à peu du milieu de ces élémens en dissolution, et qu’à la faveur des conflits dont le Danube est en ce moment le théâtre, l’attitude de chacun des peuples engagés dans la lutte s’est nettement dessinée. La route que les jeunes peuples de l’Europe orientale se proposent de suivre est en effet tracée dès ce moment, et, à moins que la Providence n’ait dans cette question des desseins contraires aux lois habituelles de l’histoire, on peut déjà entrevoir le dénoûment de l’épopée qui commence : c’est la transformation de l’Autriche et de la Turquie en états fédératifs, constitués sur le principe de l’égalité des races. Or, pour l’Autriche en particulier, ce principe équitable et fécond, en donnant la prépondérance numérique aux Slaves, c’est-à-dire aux Illyriens, aux Tchèques et aux Polonais, leur assure du même coup l’influence morale. Une vie nouvelle et généreuse rentre ainsi dans les veines engourdies du vieil empire, tout étonné de reprendre subitement de la jeunesse sur le sol même où l’on croyait voir sa tombe creusée. Les Allemands de l’archiduché et les Magyars de la Hongrie n’y trouvent point leur compte ; aussi ont-ils fait l’insurrection de Vienne contre le slavisme des Croates, afin de conserver la position de race conquérante et d’étouffer la nationalité au nom de la démocratie, mise en avant pour couvrir un intérêt d’ambition. Les Allemands ont succombé bravement sur ce champ de bataille, où leurs alliés les Magyars, enthousiastes, mais impuissans, n’ont pu leur porter qu’un secours tardif et inutile. Il est vrai que, par un étrange renversement des rôles, un certain nombre de Polonais, méconnaissant évidemment le caractère de la lutte et cédant, soit à un entraînement démocratique naturel à des intelligences passionnées, soit à une haine juste autrefois, mais aujourd’hui aveugle contre l’Autriche, ont combattu dans les rangs des Viennois pour les Magyars absens ; mais la fraction réfléchie et pensante des Polonais de Vienne et de Paris envisageait autrement la présence des Croates devant Vienne et leur alliance avec les Tchèques. Cette erreur partielle et momentanée des Polonais n’a rien changé à la marche des événemens. Le triomphe des Slaves était dans la nature des choses, et si ce triomphe se consolide, ce sera, avant tout, celui du principe des nationalités. Il suffit, en effet, de suivre les Croates dans leurs rapports avec l’empire autrichien, depuis le premier essai d’émancipation tenté en Illyrie, pour reconnaître que les derniers événemens de l’Autriche, loin de porter aucun préjudice à la démocratie, continuent un mouvement auquel doivent applaudir tous les amis des Slaves.