Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Antoine, que le cabinet a semblé pénétré du regret d’avoir perdu M. Recurt et M. Ducoux. Il a remplacé M. Ducoux par M. Gervais, dont le meilleur titre était d’avoir ramassé dans Paris, aux élections de septembre, quelques milliers de voix perdues qui appartenaient en propre au National. Sur ces entrefaites, M. Goudehaux donne sa démission à propos de ces tristes comptes du gouvernement provisoire qui porteront décidément malheur à tout le monde. M. Goudchaux est vif avec la chambre comme avec un client de sa maison qui serait trop difficultueux. On ne parle pas comme lui : il se fâche. Vite un autre ministre. On sait qui l’on a choisi. M. Trouvé-Chauvel avait été un pauvre préfet de police, il était un mince préfet de la Seine : de par l’investiture du cénacle, le voilà maintenant aux finances, et qui met-on à l’Hôtel-de-Ville ? De grace, ne sortons pas de chez nous, toujours le même M. Recurt. Ce coup-là vraiment est trop fort. M. Recurt est entré successivement à l’intérieur et aux travaux publics en déclarant à ses chefs de division qu’il était ministre malgré lui, point par aptitude, point par ambition, uniquement par nécessité ; la nécessité de sauver la patrie l’engageait à passer par-dessus sa propre impuissance. Aussi n’en prenait-il qu’à son aise, jugeant en homme de sens que ce qu’il pouvait faire de mieux à pareille fête, c’était de ne rien faire du tout. La patrie exigeait-elle donc encore que M. Recurt fût préfet de la Seine, ou bien étaient-ce ses amis les républicains de naissance qui, voulant garder la place, aimaient mieux y mettre un vieux chapeau qu’un neuf ? Personne n’a rien compris à ce manége, et nous affirmons qu’il a été des plus funestes pour le général Cavaignac. Nous pourrions citer tel département où il a perdu tout de suite, avec ce procédé, les voix influentes qui lui étaient acquises dans des rangs où l’on votait pour lui par raison plus que par goût.

Il y avait, en effet, beaucoup de gens qui se disaient jusqu’à ces derniers jours que le chef actuel du pouvoir exécutif était encore le personnage dont la présidence constituerait la solution la plus définitive pour cette pénible épreuve où nous sommes. On se plaisait à penser qu’une fois dégagé des obsessions d’un certain entourage, il se déciderait à marcher dans les voies droites avec une majorité caractérisée. Il y avait plus d’un avantage à l’adopter ainsi une fois tout seul : il ne représentait ni une dynastie ni une catégorie ; il n’avait point cette supériorité qui empêche de trouver des auxiliaires, parce qu’on ne veut que des seconds ; il était l’enfant de la fortune qui le sacrait en quelque sorte sans rabaisser personne. Mais, par-dessus toutes ces convenances, il en fallait une autre, c’était qu’on pût se fier entièrement à l’homme auquel on s’en remettait du sort de la France. Le général Cavaignac parait avoir pris à tâche de ruiner lui-même son crédit. L’assemblée lui donnait encore le moyen de réparer le temps perdu, de se rasseoir dans l’opinion, quand elle voulait ajourner l’élection du président jusqu’après le vote des lois organiques. La parole bienveillante et respectée de M. Molé conviait le général Cavaignac à suivre ce parti salutaire, qui, en tout cas, assurait au pays un répit d’une incalculable utilité. L’honorable général ne s’est point rendu à tant d’instances ; il a solennellement déclaré qu’il y aurait péril en la demeure. Il n’a point avoué que ce fût péril particulier de sa candidature, crainte personnelle de s’user dans l’intérim. Nous le confessons volontiers, cette diminution de sa personne nous eût déjà paru, dans l’état