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Où, brisé par le monde, incapable d’effort,
Le penseur sur son livre,
L’amant sur son amour, croyant que tout est mort,
Veut renoncer à vivre.

C’en est fait ! feuille et fleurs sèchent en un moment ;
La sève a quitté l’arbre ;
Le dernier flot tarit, et ta main vainement
Frappe ton front de marbre.

Tes poètes aimés, tes peintres, et, le soir,
L’archet qui nous enlève,
Plus rien d’humain ne rend à ton cœur un espoir,
A ton esprit un rêve !

Tu vois tout à travers une froide vapeur ;
Tu passes lent et sombre ;
Ta vie, objet pour tous d’ironie ou de peur,
Est le rêve d’une ombre.

Mais tout à coup l’esprit, déchirant ton linceul,
Vers le désert t’emmène ;
Jusqu’aux âpres sommets cultivés par Dieu seul,
Tu fuis la race humaine.

Tu vois les noirs sapins sous leurs neigeux manteaux,
Les lacs dans les cratères ;
Tu vois la blanche nue argenter les plateaux
Tout rouges de bruyères.

Du glacier irisé d’azur et de vermeil
Où le chamois s’abreuve,
A l’heure où l’a frappé la verge du soleil,
Tu vois naître le fleuve.

Quand, pour gravir au loin d’autres cimes encor,
Dès l’aube tu t’apprêtes,
Tu vois, à l’orient, courir la ligne d’or
Qui dessine leurs crêtes.

Tu descends dans la nuit des antres souterrains
Au feu pâle des lampes ;
Vers toute œuvre où de Dieu les pas restent empreints,
Tu vas, tu cours, tu rampes.