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les sujets historiques, il faut toujours que ce soit la nature qui soit le premier point de départ. Si l’on songe trop à ce qui s’est fait de bien, et si l’on veut surtout l’imiter, on exagère nécessairement le caractère que l’on a à rendre ; il ne part pas de source… Combien Ingres ne ferait-il pas, s’il se laissait simplement conduire par son propre sentiment ! J’espère cependant qu’on reviendra sur le premier jugement de son tableau (le Saint Symphorien). Le goût du public est, au premier abord, pour ce qui frappe les yeux, surtout dans ces immenses réunions de toiles où de bonnes choses ne peuvent être observées sur-le-champ…

« Je vous dirai que je suis bien aise de me rencontrer avec lui dans mes idées sur Raphaël et la nature…

« J’ai été obligé de cesser de vous écrire, par la visite d’un professeur de l’académie (de Venise). Naturellement nous avons beaucoup causé sur la peinture, mais nous ne nous entendions pas parfaitement, car il me parlait toujours grands maîtres, et moi toujours de la nature. Cela m’amène naturellement à répondre sur quelques points de vos lettres précédentes. Oui, j’accorde que Raphaël a fait un nombre prodigieux d’ouvrages admirables ; mais Raphaël est Raphaël. Il a été, de tous les artistes, le plus heureusement doué, si l’on en excepte Michel-Ange, qui, à mon idée, est supérieur encore.

« Raphaël improvisait ses tableaux ; de plus, il a eu le bonheur de venir dans un siècle où les arts étaient en grand honneur. Cependant je crois fermement qu’il n’a pas mis la main à beaucoup de tableaux que l’on regarde comme étant de lui : toutes ses Madones, qui sont si semblables, il n’est pas croyable que sa belle et si riche imagination lui ait permis de les exécuter ainsi. Si je ne me trompe dans cette dernière conjecture, Michel-Ange alors me paraît lui être supérieur et bien plus homme de génie, puisqu’il ne s’est pas astreint aux caprices de ceux qui lui commandaient des tableaux, et qui faisaient faire aux peintres des anachronismes ridicules. Raphaël s’en tire admirablement bien ; mais je préférerais qu’il eût exécuté quelques autres compositions, comme celles des Stanze, plutôt que de représenter des prêtres et des religieux avec Notre-Seigneur et la Vierge[1].

« J’ai été enchanté de me rapporter autant avec vous sur le Poussin. Ses ouvrages font toujours mon admiration par la pensée profonde et toujours élevée qui le conduit. Tout ce qu’il a fait prouve tant de fonds, un sentiment si réfléchi, que l’on ne peut voir ses tableaux sans s’y arrêter long-temps. On aime à se pénétrer des résultats d’une imagination si sûre. En somme, de tout ce qui a produit dans les arts, c’est lui et Michel-Ange qui me remuent le plus : le premier, par le fond de philosophie

  1. Allusion à la Dispute du Saint-Sacrement.